Minutes contemplatives sur la plage (avec Stanley)

Un samedi, fin d'aprés-midi.
Le temps était particulièrement agréable ce jour-là. Pas de pluie, une légère chaleur, une petite brise qui caresse le visage. Sur la plage, il y avait peu de monde, tous avaient dû partir plus tôt, car la nuit était prête à tomber. Certains restaient quand même, profitant au maximum de ce moment propice à se ressourcer. Il y avait des enfants qui faisaient des châteaux de sable, des femmes qui lisaient, des familles jouant aux raquettes.

Miles n'avait pas véritablement l'habitude du calme. Sa vie allait toujours à 100 km/h, que ce soit au travail comme dans les loisirs. Il ne prenait jamais de temps pour se poser, et c'était une erreur. Maintenant qu'il voulait changer d'hygiène de vie, c'était l'occasion. Et la plage était l'endroit idéal pour ça. Afin de lui faire profiter des premières belles journées de la saison, Miles avait emmené avec lui son chien, Pesu, un magnifique golden retriever.
Il avait garé sa voiture (une voiture de sport rouge vif) un peu en retrait pour ne pas attirer le regard sur elle. Il observa d'un coup d'oeil la plage. Des gens promenaient encore leurs chiens, il faudrait donc mettre la laisse au sien avant de pouvoir le lâcher.
C'est en jetant ce regard sur les autres promeneurs qu'il trouvait qu'il détonnait un peu avec eux (habillés légèrement, sans prétention, pieds nus, robes de printemps fleuries, shorts). Lui n'avait pas quitté ses vêtements habituels. Alors il retira ses chaussures et sa veste rouge, son jabot blanc, qu'il déposa dans le coffre de son auto. Au passage, il récupéra la laisse du chien, l'attacha et fit sortir l'animal qui sautait de joie à l'idée de courir un peu sur le sable.

Pour cette heure-ci, il était loin de faire froid. Pourtant, ce n'était pas encore l'été. Miles s'approcha du bord de l'eau (tiré raisonnablement par Pesu, certes content de trouver un de ses domaines de prédilection mais néanmoins respectueux de l'allure de son maitre) tout en regardant les personnes encore présentes ici.
Il posa un pied sur le sable mouillé, laissant les vagues venir vers lui. Il ne bougeait plus ; il était absorbé par le bruit de l'eau, le cri des mouettes, le soleil couchant. Pesu se coucha sur le sable humide. C'était si calme..si reposant...Dire qu'avant de s'arrêter, il craignait de perdre son temps ici, mais...Quand le temps s'arrête, on ne perd rien.

Au fur et à mesure qu'il restait silencieux devant la mer, la plage se vidait de ses visiteurs, mis à part un homme installé directement sur le sable, couché, et lui aussi accompagné d'un chien. Il ressemblait beaucoup à un Jack Russel (peut-être un mélange). Cet homme était en train de dormir, tranquillement.
Miles l'enviait un peu. L'inconnu était venu dans une tenue plutôt décontractée, il avait prévu une veste au cas où il faisait froid. Le juge, lui, était venu avec ses habits habituels, Il ne pouvait pas se détâcher de ce qu'il était en permanence, même en week end. Il était vraiment irrécupérable. L'inconnu était en train de dormir, il avait confiance et se laissait aller. Jamais lui ne pourrait faire une telle chose. Il craignait en permanence d'être vu dans une situation inhabituelle. En fait, il constatait, rien que par l'observation de cet homme, qu'il ne vivait pour rien d'autre que son travail, quoiqu'il dise, quoiqu'il fasse. Il ne vivait pas pleinement : il était guidé, obnubilé...il était comme un automate.

Il reporta son regard sur la mer. C'était fou comme une simple contemplation de la mer pouvait déclencher des pensées sur tout et sur soi. On pouvait mieux comprendre que certaines civilisations pouvaient dépasser leurs limites psychiques et faire preuve d'une grande sagesse seulement en étant en accord avec la nature.

Alors qu'il était totalement absorbé par les vagues, une voix le fit sursauter. L'homme s'était réveillé et l'avait interpellé. Il se tourna vers lui, mais ne parla pas tout de suite. Il l'observait. Et enfin, il prit la parole.

- C'est apaisant. Et beau. C'est en voyant ça qu'on se dit que nous ne sommes pas grand chose.

Pesu se leva, voyant que son maitre était sorti de son immobilité, et se dirigea vers le petit chien. Il renifla tout autour de lui, puis colla sa truffe à la sienne, un peu comme un chien policier qui examine une scène de crime. Puis il se mit à japper joyeusement, content de trouver un compagnon de jeu.
Miles ne voulait pas que Pesu indispose cet homme et son chien.

- Pesu.

Il n'avait pas levé le ton. Miles était quelqu'un qui en imposait sans devoir se mettre en colère ou hausser la voix. Pesu écouta instantanément, un peu déçu de ne pas pouvoir faire ami-ami. Pour une fois qu'il avait l'occasion de rencontrer un autre toutou (Miles était quelqu'un de tellement réservé et exclusif)...Il se mit à pleurer un peu en regardant le petit chien.

L'interlocuteur allongé sur la plage visiblement avait mal compris les intentions de Miles. Lui avait rappelé Pesu pour qu'il le laisse tranquille, mais visiblement, l'homme en face de lui pensait la même chose. Mais au lieu de donner un ordre bref à son chien pour toute explication, il excusa son chien. Le magistrat regretta d'être toujours aussi raide. Mais il ne prit pas la parole pour justifier quoique ce soit. Il hocha juste la tête. L'homme dut calmer son chien qui se sentait frustré de ne pas pouvoir jouer tranquillement alors qu'il en avait l'occasion. Miles aurait dû laisser faire Pesu, mais non. Justement, le fait que l'homme ait dû se relever pour apaiser son animal de compagnie était plus dérangeant que si Pesu était allé jouer. concernant la maladresse, cela s'appliquait plus au jeune homme aux cheveux grisonnants qu'au petit animal.

Afin de rattraper sa brusquerie, Miles tenta de s'ouvrir un peu plus. Et la première étape pour cela était d'arrêter de contempler la mer et regarder l'homme qui lui parlait. Le regarder vraiment. Pas un coup d'oeil sur le côté, quelque chose de franc. Il pivota d'un quart sur le côté et enfin il put regarder l'inconnu avec qui il échangeait depuis quelques minutes. Si jusqu'à présent, il n'avait porté son attention que sur ses vêtements, maintenant il l'observait plus en détail. Et la première chose qui le frappa...c'est que justement rien ne frappait. Cet homme était banal. Le commun des mortels. Pas de trait marquant, une aisance quasi inexistence, des excuses pour seuls mots (l'arme des faibles). Rien à voir avec la carrure et le charisme de notre magistrat.

Rien de marquant ? Pas tant que ça. Miles détecta quelque chose sur le visage de cet homme. C'était bref. Mais cela ne pouvait pas lui échapper. La présence de la mer était loin de calmer cet homme. quelque chose le tourmentait. Miles fronçait les sourcils. Ces derniers temps, il rencontrait des personnes de ce genre. Les attirait-il ?
L'inconnu tenta une dérobade pour ne laisser rien paraitre. A vrai dire, celle-ci ne risquait pas de détourner l'attention. C'était trop tard. On ne pouvait pas échapper à l'observation de Miles ni à sa réflexion.
Par politesse, il lui répondit...

- Je suis dans le coin depuis peu. c'est la première fois que je viens ici. Pour me ressourcer.

...mais la politesse ne dura pas.

- Mais je constate que l'effet que cela me procure n'est pas vrai pour tout le monde. Vous êtes bien pâle. Et particulièrement tendu.

Spoiler:

L'homme ne se sentait vraiment pas bien du tout. Il était dans ses petits souliers. Sûrement qu'une fois de plus, Miles avait un peu forcé sur son aspect frigorifique. Ce n'était pas vraiment agréable pour les autres d'avoir affaire à lui. Il fallait vraiment qu'il mette de l'eau dans son vin.
Car cette banalité, cette façon d'être comme cet homme qui était couché sur le sable...Il aurait aimé y aspirer. Même si son regard sur lui était comme de l'acier, ce qu'il pensait était tout autre. Pouvoir être n'importe qui, être d'un naturel accueillant, laisser jouer son chien avec ceux des inconnus, ne pas sortir des phrases philosophiques devant un coucher de soleil. Oui, il était envieux de ne pas être prisonnier de sa condition, de son travail, de son éducation.

On n'est jamais heureux d'être ce qu'on est. car si Miles enviait cet homme, lui semblait vouloir se fuir. Il avait du connaitre une vie difficile. Et ce qu'il disait semblait le confirmer. Il avait des problèmes avec l'alcool. Dure épreuve que de résister à l'appel de l'aisance, de la délivrance, ce qui permet l'alcool en fin de co...

Une seconde....Miles interrompit ses pensées au milieu de ces dernières. Cet homme venait de dire à un inconnu qu'il était un alcoolique avec une rapidité exceptionnelle. Tiens....C'était vraiment étrange. Il .mentait....C'était évident. Que pouvait-il cacher derrière ce mensonge (il fallait du courage pour avoir ainsi qu'on buvait) ? La drogue douce ? Drogue dure ?
Cet homme avait les traits tirés. Il vivait quelque chose de lourd et semblait au bord du gouffre. C'est avec sincérité qu'il répondit.

- Je suis vraiment désolé pour vous. J'imagine que cela doit être difficile. Depuis quand avez-vous réussi à vous arrêter ?