Le navet ou l'optimisme...

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Les dernières images du film furent suivies du traditionnel générique où défilaient les noms des personnes ayant collaboré à l'oeuvre sur un fond noir, en lettres blanches, avec aussi un fond musical au piano. Durant les deux dernières heures, Edward s'était ennuyé à mourir. Du moins, c'est ainsi qu'il se serait ennuyé s'il pouvait vraiment mourir. S'il avait été capable physiquement de dormir, il aurait sans doute ronflé doucement, la tête penchée sur le côté. Et maintenant, il entendait sans écouter vraiment la musique diffusée, qui ne valait guère mieux que le film en lui-même, alors que ses yeux noirs fixaient sans les voir les noms défilant sur l'écran.

Le jeune Cullen ne se leva pas avait que tout soit fini. La lumière tamisée se ralluma. Le film était décevant, il n'y avait rien d'autre à dire. Et, au lieu d'éloigner Bella des pensées du vampire, ce navet avait justement rapproché encore la jeune humaine de son esprit. Ironie du sort, c'était précisément l'inverse qu'Edward avait cherché en venant ici. S'il avait été humain, il aurait bu tout son saoul pour ne pas y penser, mais même cela lui était impossible. Son éternité ne lui faisait pas de cadeau. Elle ne lui en ferait jamais.

Rageur, Cullen sortit rapidement, bon dernier pour une fois, de la salle et surgit par mégarde juste devant une jeune femme qui passait devant l'entrée de la salle 6. Il posa ses yeux d'encre sur le visage de cette personne et parla d'une voix douce dans laquelle il mettait volontairement les accents de regret qu'il fallait pour ne pas passer pour malpoli.

"Veuillez m'excuser, miss, j'étais distrait..."

Il la regarda intensément, droit dans les yeux, mais cela ne dura que quelques fractions de seconde. La politesse voulait que la personne accepte ses excuses. Alors Edward tâcha d'adoucir un peu son regard noir rageur.

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Une fois n'est pas coutume, Ponine avait fait une folie : elle s'offrait une séance de cinéma. ça et le manteau noir pour lequel elle avait craqué le mois précédent, voilà bien tout ce qu'elle s'était offert depuis son arrivée aux Etats-Unis. La jeune fille se réjouissait d'avance de la séance, même si elle regrettait un peu d'y aller seule. Mais les rares amis qu'elle s'étaient faits n'étaient pas disponibles, soit qu'ils travaillaient, soit qu'ils avaient autre chose de prévu ce jour-là.
Voilà donc pourquoi, munie d'un paquet de pop-corn - autre folie - elle se dirigeait à présent vers la salle 8 du grand complexe cinématographique, où l'on diffusait le Macbeth d'Orson Welles, un classique à ce qu'on lui avait dit. Malheureusement pour elle, ses pop-corns ne devaient jamais atteindre la salle en question... Ayant pilé pour éviter une personne qui sortait en trombe de la salle six, elle en avait échappé le paquet qui avait renversé tout son contenu sur le sol.
Pour Eponine, c'était un désastre, à double titre : premièrement, pour sa gourmandise, qui devrait se passer de friandise, et deuxièmement, à cause des 2$ qu'elle avait dû débourser pour les obtenir. 2$ le paquet, dit comme ça, ça ne paraît pas énorme, mais pour Ponine qui devait faire attention au moindre cent, c'était une grosse dépense...
Sans doute la Française aurait-elle pété les plombs, si la personne qui était à l'origine de l'accident ne s'était pas immédiatement excusée... Et si, levant les yeux vers lui - puisqu'il s'agissait d'un homme, et qui devait faire environ deux têtes de plus qu'elle - elle n'était restée presque bouche bée devant lui. Elle balbutia quelques mots en français, avant de se reprendre et de répondre en anglais :

C'est bon, pas de mal. Il n'y a rien de grave.

*Sauf pour mon pauvre pop-corn...*

La jeune fille s'agenouilla et s'efforça de sauver ce qui pouvait encore l'être en ajoutant avec un sourire :

De toutes façons, je n'avais qu'à être plus adroite...

Ce n'était pas complètement faux, au demeurant... Relevant les yeux vers l'apparition - car le garçon était d'une beauté si surnaturelle qu'aux yeux d'Eponine il ne pouvait être que cela - elle remarqua à quelques signes discrets qu'il était apparemment plus que contrarié. Elle ne dit rien - la vie en foyer d'accueil lui ayant appris à réfréner sa curiosité - mais songea qu'elle aurait bien aimé savoir ce qui avait pu mettre le jeune homme dans une telle rage...

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Il aurait dû être attentif. Ou au moins, il aurait dû être PLUS attentif. Il avait bousculé une jeune femme et à cause de lui cette dernière en était réduite à regarder, l'air déçu, le contenu de son paquet de pop-corns qui s'était tristement déversé sur le sol. Par sa faute, sa seule faute à lui. Edward s'en voulait terriblement et la vague de frustration qu'il ressentit lorsqu'il se concentra un peu sur ce que ressentait la jeune femme en question ne put qu'augmenter son impression. Il avait fait une belle connerie et il n'y avait pas trente-six moyens de réparer ça.

"Non, miss, c'est de ma faute... Je suis vraiment navré..."

Il posa un instant ses prunelles de jais sur le maïs soufflé et sucré qui était sur le sol et que la jeune femme essayait à présent de sauver d'un désastre potentiel. Le jeune Cullen eut un petit soupir et proposa, d'une voix calme :

"Laissez-moi vous offrir un autre paquet de pop-corns... A cause de moi vous n'avez pas pu profiter de celui-là."

Et sans même attendre de réaction de la part de cette fille, Edward était parti, allongeant le pas et marchant rapidement, jusqu'au comptoir où l'on achetait ces aliments sucrés. Il acheta un paquet king size, pour se faire pardonner, et ajouta même un soda au cola en supplément. Il paya en utilisant un billet de cinq dollars dont il enfourna la monnaie dans sa poche avant de revenir, rapide et félin, auprès de la jeune femme qu'il avait maltraitée.

"Voilà... Encore désolé, le film que je viens de voir était un tel navet que je me suis énervé et n'ai plus fait attention."

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Comment couper le sifflet d'Eponine en dix leçons. Leçon une : lui offrir quelque chose, quand bien même ce quelque chose viendrait en dédommagement d'un dégat subit. Le geste du jeune homme - au fait ! il paraissait même plus jeune qu'elle, maintenant qu'elle y songeait ! - avait pris Eponine totalement au dépourvu. La jeune fille s'était attendu à tout, sauf à cela ! Dans son monde - à son époque - on ne l'avait guère habituée à tant de prévenance... Non plus que plus tard, dans ce Vingtième siècle...
Autant dire donc que c'est les yeux ronds et le feu aux joues qu'elle accueillit ce que lui tendait le jeune homme.

Oh, mais... C'est gentil, mais il ne fallait pas... Ce n'était pas si grave, vous savez...

Pour gêner Eponine, il faut vraiment y aller. Mais là, elle était embêtée d'avoir dérangé son interlocuteur pour une histoire aussi bête qu'un paquet de pop-corns renversés... Mais bon. Elle en prit son parti, et, très vite, un grand sourire vint remplacer sa mimique timide.

En tous cas, merci beaucoup. Dites-moi, ça devait vraiment être un très mauvais film, pour vous mettre dans un état pareil ! Donnez-moi le titre, que je sache où ne surtout pas aller et que déconseiller à mes amis !

Elle était avenante de nature, et forçait un peu son côté clown en faisant une drôle de mimique pour essayer d'arracher ne serait-ce qu'un sourire à son interlocuteur. Il devait être tellement mieux quand il souriait !

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Les émotions que ressentait Edward étaient assez troubles. La jeune femme qu'il avait bousculée était partagée entre plusieurs idées, elle n'était pas tout à fait sereine et elle était sensiblement troublée par le geste qu'il avait fait. Le teint que prit cette jeune femme quand il lui tendit le nouveau paquet de pop-corns prit une coloration un peu plus rosée et un air tellement maladroit quand elle le remercia qu'il songea à Bella.

"Non, c'est normal. Je commets une erreur, je la répare."

Cullen fronça les sourcils. Il ne savait pas bien ce que cherchait cette jeune femme à présent, mais il devait absolument faire semblant d'être normal.

"Une histoire d'amour qui rappelle trop de choses..."

Il n'était pas besoin d'en dire plus. Les yeux perçants du vampire sondaient le regard de son interlocutrice et il ne présentait pas la moindre trace de sourire sur son visage. La mauvaise humeur qu'avait provoquée ce film le rendait excessif, il le savait. Et il devait se détendre d'une façon ou d'une autre. Quitte à passer pour impoli et rustre.

"Désolé. Je n'ai pas même retenu le titre de ce navet...
Salle 6, à cette séance. Ce sera facile de retrouver ça."

Les poings serrés dans les poches de sa veste, Edward tentait de se rasséréner un peu. Il fallait qu'il parle à Bella. Coûte que coûte. Mais en attendant...

"Quel film allez-vous voir?"

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Eponine ne se vexa pas du laconisme de son interlocuteur. Elle en avait vu d'autres ! Elle se contenta de hocher la tête. Une histoire d'amour... Ouais, elle pouvait comprendre. L'image de Marius traversa rapidement son esprit. A l'époque, que n'aurait-elle pas fait pour lui ? Ah, ça avait payé, tiens ! Soyez amoureuse ! Bref. Ponine n'était pas amère. Elle ne regrettait pas ce qu'elle avait fait pour Marius, même si elle n'avait pas été payée de retour. Même si, effectivement, le fait de se retrouver face à une histoire dégoulinante de bons sentiments l'aurait probablement agacée.

Les films à l'eau de rose sont rarement proches de la réalité... Les drames me paraissent plus vraissemblables. Enfin, bref.

Elle jeta un coup d'oeil au panneau qui surplombait la salle 6. Le titre ne lui disait rien, elle ne s'en rappellerai donc probablement plus d'ici un quart d'heure. Elle répondit alors à la question :

Macbeth d'Orson Welles. Je vais étudier la pièce de Shakespeare d'ici quelques semaines, et on m'a dit qu'il serait judicieux de voir cette adaptation. Alors, en élève disciplinée... Elle pouffa un peu à cette pensée... j'obéis.

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Étrangement, la jeune femme qu’Edward avait bousculée plus tôt ne semblait pas se formaliser pour les écarts du jeune homme. Il n’avait que très peu l’envie de partager vraiment ce qu’il venait de voir et de ressentir, mais puisqu’il fallait faire preuve de courtoisie en toutes circonstances…

"Ce n’est pas faux."

Évidemment, le drame était plus proche de la réalité. Le bonheur, ça n’existait pas vraiment. Et ceux que l’on prenait pour des héros étaient parfois l’inverse de ce que l’on pensait. Le jeune Cullen desserra lentement les poings dans ses poches. Il sentait bien que c’était lui qui se braquait et que son interlocutrice était plutôt dotée de bonnes intentions.
Elle lui parla d’ailleurs du film qu’elle allait voir…

"Orson Welles est l’un des meilleurs adaptateurs de Shakespeare. Je vous conseille de voir sa version d’Othello, c’est une pure merveille…"

Étudier Shakespeare… Cette jeune femme suivait donc sans doute des cours à l’université où lui-même allait débarquer sous peu. Université où il vivrait comme au lycée de Forks, en étant toujours rigide et froid, en se montrant peu sociable pour finir par faire comme Carlisle et accumuler assez de savoir pour racheter sa condition de vampire en faisant le bien autour de lui. À commencer par se présenter.

"Edward Cullen. Nous allons certainement nous croiser à nouveau un jour ou l’autre."

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Pile au moment où Eponine commençait à se dire que, décidément, son interlocuteur n'était pas des plus faciles à dérider, celui-ci se dégela un tantinet en daignant décliner son identité. Tant pis pour lui, il venait de redonner espoir à la jeune fille de le faire sortir de sa coquille. Toujours aussi souriante, elle répondit :

Eponine Thénardier. Si vous intégrez l'Université ou si vous fréquentez le centre-ville, alors oui, il y a des chances - ou des risques, suivant votre point de vue - que nous nous recroisions.

En effet, entre ses cours à la fac, son travail au Black Gallion, son deuxième au William The Conqueror, le troisième à l'Ecole Militaire et ses allées et venues d'un point à un autre de la ville, il y avait peu de possibilité d'éviter la jeune Française. Bon, on la croisait généralement en coup de vent, mais on la croisait tout de même inévitablement. Surtout que, grâce à ses divers jobs, Ponine s'était fait des relations avec une grande partie de la ville et en tous cas avec des gens d'un peu tous les horizons.
Bref, la titi parigote choisit de rebondir sur le conseil de son interlocuteur :

Généralement - chauvinisme oblige - je préfère le théâtre Français, Ruy Blas en tête, mais je ferai une exception, puisqu'il semble si bien. Merci d'avance !

Elle n'ajouta pas que, ce qu'elle aimait le plus, c'étaient les musicals de Broadway, qu'elle avait eu l'occasion d'écouter parfois, et surtout l'adaptation de sa propre histoire, dont elle avait vu une retransmission, plusieurs années auparavant, à Paris.

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Cette jeune femme souriait souvent. Peut-être trop. Edward songeait que ses sourires à lui étaients moins fréquents mais ils venaient vraiment de loin. Et seuls les membres de sa famille et Bella pouvaient se vanter d'y avoir souvent eu droit. Cette Eponine Thénardier avait sans doute une bonne raison d'agir comme cela, mais le jeune Cullen ne voulait pas le savoir. Pas maintenant.

"Nous verrons en temps voulu s'il doit s'agir de chance ou de risque."

Ses pupilles commençaient à nouveau à foncer. Pour éviter de causer trop de mal aux êtres humains, il fallait nécessairement se faire passer pour quelqu'un de froid, de distant, quelqu'un d'infréquentable qu'il valait mieux ne pas contredire ou énerver. Lui, il avait compris cela depuis longtemps déjà et c'était un peu pour cette raison qu'il était tellement solitaire à Forks. Hormis ses frères et soeurs, il ne parlait à personne... Puis Bella était arrivée. Exactement celle qu'il attendait depuis si longtemps. Et les choses avaient changé.
Edward écoutait poliment la jeune femme, mais il était pressé de la laisser rejoindre sa salle et son film. Lui, il voulait rentrer chez lui et être seul. Pas question de voir qui que ce soit. Et puis il allait devoir chasser bientôt, aussi. Depuis quelques jours, il ressentait des envies difficiles à contrôler : s'il n'avait eu ce sens de l'éthique qui le poussait à refuser le meurtre, il aurait certainement déjà vidé quelques personnes de leur sang.

"Le théâtre français n'est pas mal, mais personnellement, je préfère les auteurs germaniques. Shakespeare comme Goethe. Ils n'ont jamais été détrônés par quiconque."

Le jeune Cullen plissa légèrement les yeux, regardant son interlocutrice avec intensité. Elle lui semblait trop sûre d'elle. Elle aurait pu être très sympathique, mais lui ne l'était pas assez. Il fallait qu'on ait peur de lui. C'était le meilleur moyen de protéger les êtres humains.