Devant les portes

Invité

On lui avait dit que les locataires étaient étranges, que le concierge était d'une laideur absolue et qu'une “brave jeune femme comme elle” n'y ferait pas de vieux os. Balsa ne s'était pas démontée.
Devant les portes du 109, rue du Septième Art, elle s'arrêta un instant pour contempler l'immeuble. Un peu de stabilité ne lui ferait peut-être pas de mal.

Si camper et vivre sur les routes étaient agréables dans sa patrie d'origine, une vie d'errance aux USA se trouvait être un calvaire. Après son arrivée mouvementée dans notre monde, la guerrière avait eu des déboires avec toutes les institutions gouvernementales possibles et imaginables. Baladée de commissariat en ambassade et de consulat en association non-gouvernementale, la lancière avait été prise tantôt pour une réfugiée, tantôt pour une terroriste. Son apprentissage de l'anglais s'était fait sur le tas et en vitesse, ce qui n'avait rien arrangé.

Quelques mois après son départ d'Ougi, Balsa avait enfin reçu un message envoyé par la shamane Torogaï, à l'intérieur d'un rêve. Le ton n'était pas optimiste et la jeune femme avait du se résoudre à passer beaucoup plus de temps que prévu dans cet univers. La vie de nomade ici semblant totalement impossible, elle avait finir par atterrir dans cette ville et décider de s'y installer pour un temps.

Trouver un travail avait été plus facile que prévu, bien qu'elle n'avait jamais songé à enseigner auparavant. Il lui avait suffit de sauver ce gamin au fond d'une rue sombre, il l'avait présenté à ce qui semblait être un autre prof... s'en étaient suivis des dialogues rapides qu'elle n'avait pas vraiment compris; puis on lui avait présenté un étudiant japonais, de ce qui semblait être l'équivalent d'Ougi dans ce monde, car leurs deux langues étaient similaires. Jouer l'amnésique était la technique de Balsa : officiellement, elle ne se souvenait plus de rien depuis son réveil au beau milieu d'un champ de maïs, explication bien pratique quant à son manque de connaissance total de la vie, des moeurs, de l'histoire et des autres caractéristiques de ce lieu. Les gérants du dôjô n'avaient pas trouvé bizarre qu'une amnésique se batte comme un soldat expérimenté, et lui avaient proposé de donner quelques cours.

Grace à ce travail, Balsa avait eu un peu d'argent, et grace à cet argent, elle avait pu arrêter de voler sa nourriture. Ses premiers passages au supermarché seraient sans doute hilarant avec le recul de quelques années, mais elle préfèrait ne plus y penser maintenant. Son salaire lui avait aussi permis de louer une chambre dans un appartement, probablement une des inombrables fenêtres qui lui faisaient maintenant face. Ce bâtiment de six étages étaient pour elle plus grand que le palais de l'Empereur, mais il semblerait qu'il soit divisé en une myriade d'habitations plus petites et qu'elle soit censée occuper l'une d'entre elles. C'était un système ingénieux, après tout.

Portant le sac de sport élimé qui contenait ses quelques affaires – quelques rechanges, un nécessaire de toilette, sa précieuse tunique d'Ougi et un nombre très restraint de livres – sur une épaule et sa lance précautionneusement recouverte de l'autre main, Balsa fit ses premiers pas à l'intérieur du 109.

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