109, rue du Septième Art
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon : la prochaine extension Pokémon sera EV6.5 Fable ...
Voir le deal

 

 I won't let you bring me down

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 17 Jan 2010, 05:38

Décembre 2008. 3h36, arrivée sur les lieux. Sont présents l'inspecteur Elias Meadows, de la brigade criminelle, Jack Andrews de la police scientifique, Joseph Inward du bureau du médecin légiste et Jordan Cavanaugh, pathologiste.

Jordan coupa un instant son dictaphone, le temps d'enfiler une nouvelle paire de gants.

Triplez vos gants, Inward. Avec tout le verre brisé qu'il y a ici, vous risqueriez de vous faire mal.
Oui, docteur.

Tandis que le stagiaire s'empressait d'obéir, Jordan s'accroupit auprès du cadavre et remit en route le dictaphone, commençant à égrener le compte des diverses lésions d'une voix monotone et dépourvue d'émotion. Le cadavre était dans un sale état. Il serait difficile de le transporter sans risquer d'en perdre des morceaux. Jordan fit passer son poids d'une jambe sur l'autre. A cause du verre brisé, elle ne pouvait pas s'agenouiller, et l'examen exhaustif des lésions subies par le corps commençait à être un peu long. Dans son dos, elle entendait le type de la criminelle qui commençait à faire de drôles de bruits. Elle interrompit l'enregistrement et lança sans se retourner :

Meadows, si vous devez vomir, soyez gentil, allez le faire dehors.

L'inspecteur ne se le fit pas dire deux fois. Il partit en courant, manqua de s'étaler dans l'escalier au passage et claqua la porte derrière lui. Jordan eut un sourire narquois et reprit la litanie des diverses plaies et blessures du cadavre.

Inward, venez m'aider à le retourner...
Tout de suite, docteur.

Le stagiaire se pencha et commença à soulever le corps...

Aouch !

Jordan leva les yeux au ciel.

Mais c'est pas possible d'être si maladroit ! Faites-moi voir ça ? Inward, c'est ça que vous appelez tripler vos gants ? Mais c'est pas vrai, qui m'a fichu un boulet pareil ? Allez, montez et allez vous faire soigner ! Andrews, vous pouvez l'accompagner ? Il est capable de se perdre, cet idiot, et vous allez avoir besoin de prendre son ADN pour l'isoler...
Vous êtes sûre ?
Le périmètre est sécurisé, non ? que voulez-vous qu'il m'arrive ? Qu'il revienne à la vie ? Ne vous en faites pas, je ne bouge pas.
Comme vous voudrez. A tout de suite.

Les deux hommes sortirent, laissant la légiste seule, penchée sur son cadavre. Elle sourit, secoua la tête et reprit là où elle s'était arrêté. Au bout de quelques minutes, elle se releva. Un bruit derrière elle la fit sourire.

Déjà de retour, Andrews ? Vous avez fait vite. Vous tombez bien, je...

Elle ne put pas finir sa phrase : un tissu imprégné de quelque chose à la forte odeur chimique vint se plaquer sur son nez et sa bouche. Aussitôt, son cerveau lui lança un signal d'alarme : on tentait de la chloroformer ! Par réflexe, elle balança son coude en arrière de toutes ses forces et atteignit des côtes dont certaines craquèrent sous le choc. Elle se retourna pour faire face à son agresseur... et fut accueillie par un crochet qui s'écrasa sur sa pommette gauche. Elle eut l'impression que l'os explosait et manqua de perdre l'équilibre. Elle jeta son genou à l'aveuglette, mais ne toucha que le vide tandis qu'un second coup de poing lui fendait la lèvre et la jetait à terre. Son téléphone avait jailli de sa poche et gisait à portée de main. Elle tendit le bras, mais un pied tomba sur sa main, lui brisant quelques os et l'empalant sur le verre qui couvrait le sol. Elle ne put retenir le cri de douleur qui lui vint. Un autre coup de pied, en pleine tempe, le fit mourir sur ses lèvres alors que son cerveau implosait et que le noir recouvrait tout...

~#BLACK OUT#~

Ce fut la chaleur du sang coulant sur sa joue qui la tira de son inconscience. Où était-elle ? Elle avait mal... mal partout... son coude... sa main... elle ne pouvait plus la bouger... son visage... sa tête... Elle voulut porter une main à sa tempe, constater les dégâts... elle heurta quelque chose, à quelque centimètres seulement devant elle... Elle eut un gémissement. Elle s'était planté plus profondément encore un morceau de verre dans le dos de la main. Mais soudain, son cerveau enregistra l'information. Une paroi, à quelques centimètres devant elle... son dos, appuyé contre une autre paroi... le sang sur sa joue qui coulait tout droit...

Elle sentit son coeur commencer à s'emballer. Non. Ce n'était pas possible... Pas ça... pas encore... Ses mains se mirent à courir frénétiquement sur la paroi. Des briques. Du ciment encore humide, tout frais... et pourtant impossible déjà à desceller... Sa respiration commençait à accélérer. Non, Jordan, ne cède pas à la panique. Essaie encore. Indifférente à la douleur, l'adrénaline commençant à affluer à son cerveau, elle posa ses deux mains à plat sur le mur devant elle et s'arc-bouta contre celui derrière elle pour essayer de repousser ces briques. En vain. Du calme, ma fille. Reste calme. Surtout, ne panique pas. Cherche, il y a forcément un maillon faible... Elle voulut mesurer de l'envergure de combien elle disposait en largeur... ses coudes heurtèrent violemment deux autres parois. Le coeur de Jordan loupa un battement. Ses doigts se mirent à scruter frénétiquement chaque brique, chaque ligne de ciment à la recherche de la brique qui lui permettrait de faire un appel d'air... Aucune de ces fichues briques ne voulait céder !!! soin cerveau subitement enfiévré se mit à calculer. Elle n'avait de l'air que pour quelques heures. Elle avait mal. Elle avait peur. Elle sentait son propre sang couler de plusieurs plaies.

A mesure que les minutes défilaient, elle sentait monter la crise de panique. Déjà sa poitrine était plus serrée, sa respiration plus haletante, plus douloureuse. Elle sentait la nausée monter, le vertige faire tourner le sol sous ses pieds, l'odeur âcre de sang lui donnait mal à la tête, à moins que ce ne soit le coup de pied ? Elle avait aussi la sensation que ses membres s'engourdissaient, des fourmis dans tout le corps... des crampes aussi, et ce frisson sans fin qui la faisait trembler... Des étoiles commençaient à danser devant ses yeux... A présent, elle devait lutter pour chaque bouffée d'air... Et elle savait... elle
savait qu'il en serait ainsi pendant encore près de deux heures... Elle allait mourir à petit feu, personne ne viendrait la chercher... Emmurée vivante comme une héroïne de Poe... livrée à son propre esprit, à ses propres terreurs... NON !

Elle poussa un hurlement hystérique. Non, non, non non !!!!! Non, elle ne pouvait pas mourir comme ça, non, elle ne se laisserait pas mourir si stupidement ! Non, l'autre n'aurait pas le privilège de l'avoir brisée ! Elle se mit à tambouriner frénétiquement contre le mur, de plus en plus fort, sans prêter attention à sa main brisée, qui lui faisait si mal. La peur, la colère, l'adrénaline anesthésiaient toute sensation. Elle hurlait, hurlait de toutes ses forces, à s'en briser la voix. De l'autre côté, elle entendit des voix. Elle se mit à appeler. Ici ! Elle était là ! Il y eut un bruit au-dessus de sa tête, comme une explosion, et plusieurs briques lui tombèrent dessus. Elle se protégea tant bien que mal de ses bras.


Jordan ? Tiens bon, on arrive !

Elle eut un dernier frisson alors que la lumière d'une torche éclairait enfin son visage. Le visage de Stella penché sur le sien, par l'ouverture pratiquée fut la dernière chose qu'elle vit.

~#BLACK OUT#~

Elle se réveille...

Jordan eut un frisson qui parcourut son corps entier, lui arrachant un gémissement de douleur et ouvrit les yeux. La lumière crue qui tombait d'un plafonnier l'obligea à les refermer de suite. Elle voulut porter une main à sa tête et s'aperçut que sa main droite était entravée. Elle rouvrit les yeux. Son bras droit était en écharpe, sa main plâtrée, et son coude maintenu dans une attelle. Son bras gauche était bandé sur toute la longueur, de même que sa main. Quand elle la porta à sa tête, ce fut pour découvrir que celle-ci aussi était bandée, et que son visage portait de nombreux pansements. sa lèvre inférieure avait été recousue, de même que son arcade gauche. Elle baissa les yeux. Elle était allongée sur un lit d'hôpital. A sa droite, elle reconnut deux silhouettes familières. Stella Bonasera et Frederick Abberline. Elle réussit à prononcer :

C'est moi, où la veillée funèbre n'est pas encore pour tout de suite ?

Incorrigible. Jordan ne pouvait s'empêcher de faire de l'humour noir. Même - et surtout - dans son état. Maintenant qu'elle se savait vivante, son orgueil se rebellait déjà. Il ne fallait pas qu'au spectacle de sa déchéance physique s'ajouta celui de sa déchéance psychologique. Ils ne devaient même pas soupçonner à quel point elle avait eu peur. A quel point elle avait souhaité mourir. Elle essaya de sourire, ne parvint qu'à faire une grimace douloureuse. Elle demanda :

Je suis dans quel état, exactement ? Je ne suis pas assez objective pour en faire le relevé moi-même...
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyLun 18 Jan 2010, 01:55

Il y a des jours où l'on hait le téléphone. Des jours où chaque fois qu'il sonne, c'est pour vous annoncer une mauvaise nouvelle. Des jours où vous en arrivez à redouter la sonnerie et le moment de décrocher. Aujourd'hui avait été un de ces jours-là pour Stella. Les ennuis avaient commencé quand elle était rentrée chez elle après son service, quand on l'avait appelée pour lui annoncer qu'elle devait se tenir à disposition parce qu'elle ferait partie de l'équipe de renfort pour la nuit suivante. Ils avaient continué avec divers appels de labos pour lui annoncer que tel ou tel prélèvement était inexploitable, corrompu, ou carrément perdu. Un appel en provenance de New York lui avait appris que deux de ses anciens collègues étaient malades. Un autre lui avait annoncé que son rendez-vous de la soirée ne pourrait pas être reporté et donc qu'il fallait qu'elle fasse une croix définitive sur sa soirée romantique. Aussi, quand, à 4h15 du matin, le téléphone avait sonné, Stella avait senti que ce serait pour lui annoncer une mauvaise nouvelle de plus. Et de fait, elle ne se trompait guère. A ceci près que la nouvelle était encore plus mauvaise qu'elle ne l'avait imaginée.

L'enlèvement ou le meurtre d'un collègue est, sans conteste, l'une des choses les plus redoutées dans la profession. Même lorsque l'on ne connaît pas plus que ça la personne, le vide se fait alors cruellement ressentir. On a beau savoir que travailler dans ou pour la police comporte ce genre de risque, on n'en est pas moins affecté... Alors quand en plus la victime est une personne que l'on connaît et apprécie, c'est encore pire. C'est pourquoi, en entendant que le Dr Jordan Cavanaugh était portée disparue sur une scène de crime, Stella n'avait pas réfléchi. Elle avait saisi ses affaires, son arme et sa mallette, avait retrouvé dans le couloir un Abberline aussi inquiet qu'elle-même et ils avaient tous deux dévalé les escaliers pour s'engouffrer dans sa voiture. Ses premiers mots avaient été pour son collègue de la scientifique.


Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je ne sais pas, on ne l'a pas laissée plus de cinq minutes...
Vous n'auriez pas dû la laisser même cinq secondes !

Enervée et en colère contre son collègue, elle avait préféré s'éloigner avant de faire ou de dire quelque chose qu'elle aurait pu regretter, laissant Abberline, dont le flegme tout britannique serait sans doute plus efficace pour interroger les témoins. Elle était montée examiner la scène de crime. Le spectacle n'était pas rassurant. Un cadavre, visiblement retourné pour examen, la mallette de Jordan ouverte auprès du corps, du verre balayé à plusieurs endroits, et taché de sang, traces de lutte évidentes... et le portable écrasé près d'une large trace de sang... Ce dernier détail en particulier, avant serré le coeur de Stella.

Qui a sécurisé le périmètre ?
Meadows, de la criminelle...
Dites-lui que c'est un incapable.

Pour elle, Stella n'avait même pas voulu lui parler. Elle avait commencé ses prélèvements, avait relevé des fibres - du jean, du coton, un morceau de velours noir usé qui correspondait à la veste de la légiste - et d'autres éléments. Près du portable en miettes, des morceaux de latex indiquaient que l'une des mains de Jordan avait dû souffrir... Elle avait relevé du sang un peu partout. Du sang humain, évidemment. Elle en vait fait plusieurs prélèvements, au cas où il y aurait plusieurs types. Et soudain...

Frederick ? Euh ! Abberline, pouvez-vous venir ?

Elle s'était d'elle-même reprise, même si son habitude new yorkaise d'utiliser les prénoms plutôt que les noms lui était revenue au grand galop. Elle avait ajouté, sans y prêter plus d'attention que cela :

Où mène cet escalier ?
Au sous-sol, avait timidement répondu Andrews. Il est condamné, et inaccessible.
J'en suis moins sûre que vous...

Torche en main, arme sortie du holster, elle avait fait signe à Abberline de la suivre et était descendue prudemment. Elle avait poussé une porte qui semblait condamnée et qui pourtant s'écarta sous sa main. Elle avait alors entendu des coups sourds. Elle s'était immobilisée, et avait armé son pistolet.

Police ! Que personne ne bouge !

Dans le noir, les coups devenaient de plus en plus forts, de plus en plus rapides et frénétiques. Une longue plainte s'éleva, de plus en plus forte et désespérée, virant au hurlement hystérique. A la lumière de sa torche, Stella ne voyait qu'une pièce vide, quelques outils gisant sur le sol, et, en face d'elle, un mur. Elle avait soudain eu une illumination. Poe. L'auteur favori de Jordan. Sa plus grande phobie.

Abberline ! Il l'a emmurée vivante !

Stella s'était précipitée auprès du mur, essayant d'appeler Jordan pour mieux la localiser, la calmer, tandis qu'Abberline, appelant du renfort, s'était saisi d'une masse et avait commencé à frapper pour libérer la légiste. Lorsque le mur avait commencé à s'écrouler, Stella s'était penchée par l'ouverture, avec sa torche et avait regardé. Un peu en contrebas, elle avait distingué la silhouette familière de la légiste.

Jordan ? Tiens bon, on arrive !

Jordan n'avait pas répondu. On l'avait retirée, inconsciente, de sa prison de briques. Et à présent, elle gisait sur un lit d'hôpital. Les urgences avaient pansé ses plaies. Elle avait quatre métacarpiens cassés à la main droite, le coude démis, des coupures dues au verre un peu partout sur le corps et le visage, un léger trauma crânien, une pommette éclatée, la lèvre inférieure et l'arcade gauche fendues, plus diverses plaies minimes et une légère intoxication au chloroforme. Mais tout cela, restait peu important. Le pire était le choc psychologique subi par la légiste. De son propre aveu, Cavanaugh était claustrophobe. Elle avait déjà été enterrée vivante à trois reprises. Elle venait de vivre sa plus grande terreur en étant emmurée vivante. Il n'était pas certain qu'elle s'en relèverait facilement...

Stella était en train de ranger les derniers prélèvements qu'elle avait effectués sur son amie et de refermer les plastiques dans lesquels elle avait placés ses vêtements, quand Jordan ouvrit les yeux. Ses premiers mots furent, sans surprise, lourd d'un humour noir qui, en d'autres moments, aurait fait sourire la criminologue. Mais elle avait eu si peur, et il était si évident que c'était un sursaut d'orgueil de la part de Jordan, qu'elle ne prit même pas la peine d'en sourire.


Tu peux te vanter de nous avoir fait une belle peur.

Stella s'assit au bord du lit et prit son amie dans ses bras, sans répondre à sa question.

si tu savais à quel point je suis contente que tu sois vivante...
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyLun 18 Jan 2010, 23:21

Lorsqu'à 4h15 ce matin-là la sonnerie du téléphone avait déchiré le silence de la chambre, il y avait une heure environ qu'Abberline ne dormait plus. Ce qui ne l'avait pas empêché de sursauter, surpris. Nécessité faisant loi, il avait dû faire l'achat d'un portable pour son travail, dont il lui avait fallu quelques heures pour comprendre le maniement avec l'aide du Dr Cavanaugh, visiblement habituée à ce genre de situation. Mais il ne parvenait toujours pas à s'y faire. Il s'était précipité pour décrocher, peu soucieux de réveiller - et donc d'affronter - son colocataire si tôt dans la journée.

Il avait raccroché quasiment immédiatement. De ce qu'on lui avait dit, il avait retenu l'essentiel : Jordan Cavanaugh avait disparu. Comme tout membre de la police, il craignait comme la peste ce genre d'évènement. A plus forte raison quand il s'agissait de l'une des très rares personnes qu'il appréciait. Alors au diable le sommeil de son colocataire, tant pis s'il le dérangeait en partant, il avait pour l'heure plus grave en tête que la perspective de propos glacés sur son manque de discrétion à une heure aussi matinale. Habillé à la va-vite, il avait saisi ses clefs et son manteau - heureusement que celui-ci contenait toujours tout ce dont il avait besoin pour une enquête - et était sorti en coup de vent, sans prendre garde à la façon dont la porte se refermait derrière lui. Dans le couloir, il avait retrouvé Stella Bonasera, visiblement énervée et inquiète, à qui il avait emboîté le pas.

Le trajet en voiture avait été silencieux. Stella s'efforçait visiblement de canaliser sa nervosité de façon à pouvoir conduire sans risquer de les envoyer au fossé, et Frederick lui-même se perdait en conjectures. Cavanaugh avait disparu sur une scène de crime. Comment une chose pareille était-elle possible ? Même à son époque, il était d'usage de sécuriser le périmètre, de veiller à ce que personne ne puisse approcher... Négligence ? Malveillance ? Dans les deux cas, quelqu'un n'avait pas fait correctement son travail, et ainsi mis en danger la vie d'une collègue. La question, à présent était : qui aurait pu vouloir s'en prendre à la légiste ? dans quel but s'attaquer à elle ? Et pourquoi fallait-il toujours que ce soit quand il en avait le plus besoin que son esprit jamais en repos choisissait de se mettre en stand by ???

A leur arrivée sur les lieux, Stella avait déchargé sa nervosité sur son collègue de la scientifique, remarquant - avec raison - que jamais la légiste n'aurait dû être laissée seule sur les lieux. Puis elle s'était éloignée à grands pas, tandis que Frederick prenait le relais auprès des témoins. Il avait pris note de ce qu'ils avaient à dire. Il en était ressorti que son propre collègue était sorti quelques minutes seulement après l'arrivée de la légiste, ayant bouclé le périmètre seul - et visiblement mal - Puis le maladroit stagiaire s'était blessé et c'était Cavanaugh elle-même qui avait intimé à Andrews de le faire sortir. Une erreur, certes, mais l'autre n'aurait jamais dû céder...


Qui a sécurisé le périmètre ?
Meadows, de la criminelle...
Dites-lui que c'est un incapable.

Frederick s'était contenté d'incliner la tête dans la direction du principal intéressé, jugeant inutile d'en rajouter une couche, quoique n'en pensant pas moins. Il avait posé encore quelques questions, quand Stella l'avait interpellé.

Frederick ? Euh ! Abberline, pouvez-vous venir ?

Le Britannique ne s'était pas formalisé de l'erreur de sa collègue. Confiant à un subordonné les trois témoins, il avait rejoint la criminologue. Son regard avait aussitôt été attiré par ce qu'elle voulait qu'il voie : une piste faite de gouttes de sang au milieu des débris de verre. Ils avaient échangé un regard d'intelligence et il avait tiré de sa poche son revolver et l'avait armé d'un geste sûr, avant d'emboîter le pas à Stella, descendant un escalier sombre menant à une porte apparemment condamnée. Mais quand celle-ci s'était ouverte sous la main de Stella, Abberline avait compris qu'elle avait vu juste. Ils entrèrent en même temps dans la pièce vide. C'était l'odeur qui l'avait frappé. Une odeur de ciment frais. Les coups frénétiques frappés, le cri de terreur presque inhumain n'avaient fait que le conforter dans ce que son instinct lui avait déjà fait entrevoir. Stella elle-même, n'avait fait que mettre des mots sur l'horrible réalité.

Frederick s'était jeté dans les escaliers et avait hurlé, donnant de la voix pour la première fois depuis des années :


Tous les hommes valides au sous-sol ! Exécution !!!

La force de sa propre voix l'avait presque surpris. Il avait oublié qu'il pouvait atteindre un tel volume quand il le souhaitait vraiment. Puis, il s'était saisi du premier instrument qui lui était tombé sous la main : une lourde masse qu'il avait arrachée du sol d'une traction. Abberline n'était pas un modèle de musculature - du moins en apparence... mais quand le besoin s'en faisait sentir, sa nonchalante silhouette pouvait receler des trésors de puissance. Balançant la masse pour gagner un maximum de vitesse et de puissance, il avait frappé le mur à plusieurs reprises, bientôt rejoint par plusieurs hommes qui s'étaient empressés de l'imiter. Enfin, sa masse avait fini par faire céder les briques. Stella s'était penchée par l'ouverture et lui avait signalé la position exacte de Cavanaugh. Dès cet instant, Frederick avait dirigé la manoeuvre, délimitant le périmètre, gérant les efforts pour extraire Jordan le plus vite possible et avec le moins de risques pour elle, tandis que Stella guidait les ambulanciers. C'était Frederick lui-même qui avait recueilli et étendu la légiste sur le brancard, non sans un frisson horrifié en voyant son visage tuméfié, sa main brisée, et les multiples plaies qui couvraient son corps.

Et à présent, Frederick se tenait debout dans la chambre d'hôpital où l'on avait installé Jordan, une fois ses plaies pansées et sa main plâtrée. Il s'était pudiquement tenu à l'écart le temps que Stella fasse ses prélèvements et venait de rentrer. Silencieux, vaguement songeur, il regardait les deux femmes. Il avait discuté avec l'urgentiste qui s'était occupé d'elle. L'un dans l'autre, elle s'en sortait plutôt bien. Le problème à présent n'était pas physique, mais psychologique, et pour cela, les médecins ne pouvaient pas grand chose. C'était à un des psychologues de l'hôpital de la prendre en charge pour que les séquelles soient les plus minimes possibles.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Frederick se détacha du mur auquel il était accoté et s'approcha avec un sourire à sa remarque. Incorrigible Jordan. Stella, en revanche, semblait prendre bien plus mal la tentative d'humour de la légiste. Alors qu'elle la serrait dans ses bras, Frederick, lui, tirait une chaise et s'installait à son chevet.


Effectivement, Jordan, ce n'est pas encore aujourd'hui que vous passerez sur votre propre table d'opération. Niveau blessures, dans l'ensemble vous ne vous en tirez pas si mal. Vous devrez vous passer de votre main droite pendant quelques mois et vous risquez d'être désormais sujette à des migraines assez fréquentes, mais le reste de vos blessures est bénin.

Il marqua une courte pause et ajouta à voix plus basse :

Content de vous revoir parmi nous.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyMar 19 Jan 2010, 18:49

Même en temps normal, Jordan n'était pas une adepte des contacts physiques en tant que marque d'affection. A moins d'en être l'initiatrice, elle n'y tenait pas plus que cela. Et même quand elle-même se laissait aller à toucher quelqu'un, le contact demeurait assez soft : une main sur le bras, sur l'épaule... Si l'on exceptait les moments où elle partageait le lit de l'un ou l'autre amant - en l'occurrence, depuis quelques mois, de son colocataire - où elle tolérait et même recherchait l'étreinte, Jordan supportait assez mal qu'on la touche, qu'on la serre... Elle repoussait alors gentiment, mais fermement la personne, sous un prétexte ou sous un autre, ou, quand elle se sentait suffisamment en confiance, tout simplement en disant la vérité.

Il n'est donc pas difficile d'imaginer à quel point l'étreinte de Stella fut ressentie par la légiste comme une agression. En plus de la douleur purement physique que celle-ci lui causa - car elle appuyait involontairement sur plusieurs des nombreuses coupures qui parsemaient le corps de Jordan et malmenait sa main brisée - elle infligeait une intolérable brûlure à son orgueil déjà mal en point. Brutale, Jordan la repoussa de sa main valide.


Ne me touche pas !!!

Ce ne fut qu'en entendant sa propre voix résonner, presque deux octaves au-dessus de son ton habituel, que Jordan réalisa à quel point elle était à bout de nerfs... et combien son geste pouvait être blessant pour son amie. Elle ferma un instant les yeux pour essayer de rassembler un peu ses esprits et se composer une attitude un peu plus aimable - dans la mesure du possible. Elle réussit à grimacer une ébauche de sourire contrit.

Excuse-moi. C'est juste que... j'ai mal partout. N'en rajoute pas, s'il te plait.

L'explication était boiteuse, l'excuse tout autant. Mais Jordan n'était pas en état de faire mieux à ce moment précis. Elle espérait seulement que Stella comprendrait et ne lui en voudrait pas. Elle tourna légèrement la tête pour mieux voir Abberline. Inconsciemment, elle avait remarqué que, pour la première fois, le Britannique l'avait appelé par son prénom. Le point méritait d'être souligné et sans doute disait mieux que les démonstrations d'affection de Stella à quel point ils s'étaient inquiétés pour elle. Gênée, elle détourna un instant les yeux. Elle n'aimait pas que l'on s'inquiétât pour elle. Elle n'en avait pas l'habitude, et ne pensait pas le mériter. Elle avait toujours affirmé qu'en choisissant ce métier, elle avait choisi aussi les risques qui allaient avec, et que s'inquiéter pour elle parce qu'un de ces risques était devenu une réalité était une perte de temps. D'une manière générale, elle n'aimait pas qu'on s'occupât d'elle. Elle ne savait pas se laisser faire, elle n'avait jamais appris à être prise en charge ni même en considération en tant que personne. Enfant, elle avait dû composer avec une mère instable et un père absent, puis plus tard, c'était elle qui avait dû assumer le rôle de femme de la maison. Elle ne s'en plaignait pas. Son caractère indépendant s'en était parfaitement accommodé. Mais cela ne l'avait pas préparée à se retruver un jour en position de faiblesse. Et elle n'aimait pas cela.

Reposant son regard sur Abberline, elle eut une nouvelle ébauche de sourire, qui se voulait sarcastique, et prononça avec difficultés - sa lèvre recousue la lançant sourdement :


Allons, inspecteur, pas de sentimentalisme inutile. Je suis vivante, et à peu près entière. C'est tout ce qu'il y a à dire.

Elle soupira et essaya de se redresser un peu, mais dut abandonner. Elle avait vraiment trop mal partout pour ça.

Bien, je suppose que vus devez avoir des questions à me poser ?
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyMer 20 Jan 2010, 05:39

Il y avait pourtant quelques mois à présent que Stella fréquentait Jordan. Quelques mois que les deux femmes discutaient régulièrement, chacune s'était un peu révélée à l'autre. Stella aurait dû savoir que son geste ne serait pas bien accueilli. Jordan n'était pas le genre de femme à aimer être prise en compassion. Elle l'avait elle-même dit, haut et fort, et à plus d'une reprise. Mais Stella n'avait pas réfléchi. Elle était parfois impulsive. Trop impulsive, Mac le lui avait souvent dit. Mais on ne se refait pas...

Elle ne se formalisa pas du geste de Jordan, ni du côté un peu pathétique de sa tentative de se raccrocher à des branches qui n'existaient pas. Elle se contenta d'un signe de tête et d'un sourire qui signifiait qu'elle comprenait. Elle se redressa et regarda dans la direction d'Abberline. L'Anglais, avec son flegme et sa retenue si britanniques, devait être bien plus au goût de la légiste. Il était si réservé, en permanence correct, toujours un peu sur la défensive... L'opposé de Stella, qui était - elle le savait - trop franche et souvent à la limite de l'impolitesse. Jordan et elle ne se ressemblaient qu'en apparence, cela Stella l'avait compris assez vite. La légiste, sous des dehors parfois ironiquement agressifs, était en fait plus dans un schéma de défense. Il ne fallait pas être grand psychologue pour comprendre cela. Il suffisait de s'intéresser un peu aux gens.

Silencieuse, elle écouta la voix d'Abberline répondre calmement à Jordan, énoncer de façon atténuée ses blessures, et l'immense effort que ç'avait dû être pour lui de prononcer une phrase aussi... intime que sa conclusion la fit sourire. La réplique de Jordan, là encore était à la fois appropriée et attendue. Enrayer toute possibilité d'attendrissement pour ne pas risquer elle-même de craquer. Du Jordan tout craché. Stella secoua la tête et choisit de répondre directement à la question.


Pour moi, tout est là, lança-t-elle en désignant sa mallette et les sacs plastiques. Pour le moment, je n'ai pas besoin de plus. Je reviendrai une fois que j'aurai les premiers résultats, et donc des questions précises.

Elle se leva du bord du lit, ramassa ses affaires et conclut :

En attendant, remets-toi, ça vaut mieux. Que tu puisses nous faire un récit aussi précis, détaillé et détaché que tes rapports d'autopsie...

Elle eut un sourire et un léger clin d'oeil, puis se tourna vers Abberline.

Je vous attends ?

Sa réponse obtenue, elle se dirigea vers la porte. Quelqu'un se trouvait derrière. Stella fronça légèrement les sourcils, mais ne fit aucune remarque et, avec un léger "excusez-moi", elle se glissa dehors pour rejoindre le parking et sa voiture. Quelques minutes plus tard, la Thunderbird de 1965 quittait le parking de l'hôpital en direction du commissariat...
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyMer 20 Jan 2010, 22:34

La violente réaction de Jordan fit sursauter Frederick. Il faut le dire, il ne s'y était pas attendu. La légiste était d'ordinaire une femme assez maîtresse de ses nerfs, peu encline aux débordements. Abberline ne l'avait même jamais entendue se mettre en colère. Ce n'était en quelque sorte pas... "le genre de la maison", quoique cette expression un peu triviale ne plût guère. Mais, sans nul doute, le choc qu'elle avait reçu pouvait expliquer ce soudain éclat. D'ailleurs, déjà, Jordan s'excusait, d'une manière un peu... bancale, certes, mais c'était vraisemblablement tout ce qu'elle avait dû trouver pour que Stella ne lui en veuille pas.

D'ailleurs, le sourire discret de Stella disait assez qu'elle comprenait. L'espace d'un instant, la compréhension muette qui existait entre les deux femmes lui rappela celle qui existait entre Godley et lui-même. Godley qui le comprenait d'un regard, qui le connaissait mieux que personne, Godley et ses private jokes, ses citations de Shakespeare et les gifles qu'il avait pu lui donner pour le tirer de sa torpeur d'opiomane... Il eut une seconde de nostalgie en y repensant. Son compagnon d'autrefois lui manquait et il enviait les deux femmes.

Ce fut la voix de Jordan qui le tira de ses réflexions. Il eut un discret sourire.


Frederick. Je crois que vous et moi pouvons à présent nous montrer un peu plus familiers... vous ne croyez pas, Jordan ?

Il laissa à Stella le soin de répondre à la question et eut une ébauche de sourire face à sa remarque. Quand elle se tourna vers lui, il secoua la tête.

Merci Stella, je rentrerai à pieds.

Il salua sa collègue avec un signe de tête et se retourna vers Jordan.

Elle a raison, Jordan. Je pense que vous interroger avant que le psychologue ne vous ait prise en charge est inutile. Vous avez besoin de repos et de rassembler vos idées. Je reviendrai vous voir demain, si vous le voulez bien.

Il se releva et sourit.

Prenez soin de vous, Jordan.

Il se retourna et releva la tête, prêt à partir, quand...

Vous ???
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptySam 23 Jan 2010, 01:20

Dans le silence de sa chambre, ce soir là, Jonathan travaillait sur un dossier. Une gamine de 8 ans et et 5 mois précisément, méthodiquement brisée et torturée par sa mère depuis sa naissance, amenée la veille pour tentative d'homicide par étouffement. La peau de la gamine ressemblait à un patchwork soigneusement rapiécé … mais rien, évidemment, que des manches longues ne puissent dissimuler. Le mari, lui, n'avait rien vu. Oh, le cas ne l'émouvait pas outre mesure- pas plus que le regard un peu trop adulte et désabusé que la morveuse avait posé sur lui lors de leur entretien, dans sa chambre d'hôpital. Il avait tout de même accordé un peu plus de soin que d'ordinaire à la rédaction de ses observations et conclusions, sa montre indiquant une heure moins trois du matin lorsqu'il referma le dossier. Il s'étira légèrement, réprimant un bâillement. Il commençait sa journée tôt le lendemain, ce qui lui laissait tout de même dans les 5 heures et demi avant de devoir se lever. Largement raisonnable.

Quelques minutes plus tard, les notes aiguës, un peu étouffées de la sonnerie d'un téléphone l'arrachèrent du sommeil. Il émergea lentement … Bon sang, est-ce que les murs étaient faits en papier ? Et surtout, son charmant colocataire était-il forcé d'attendre une heure impossible pour s'inventer une vie sociale ? Il s'agissait probablement du boulot, d'un autre côté – et la sonnerie s'était vite interrompue : si son colocataire n'était certes pas de la compagnie des plus agréables par instants, il avait au moins l'appréciable avantage de se montrer d'une discrétion exemplaire dans ses activités quotidiennes, se murmura-t-il en se retournant, recalant sa joue contre le surface douce et chaude de son oreiller. Des sons étouffés, pourtant immanquables dans le silence nocturne continuèrent cependant de lui parvenir, et bien vite il put entendre le pas-loin-d'être-discret de l'inspecteur Abberline résonner dans les parties communes. Si d'ordinaire il donnait dans le Bernard et Bianca, là on était indubitablement dans le Dumbo. Pas grave, il avait entendu un bruit de clés, il n'allait pas tarder à partir … Ou alors Crane allait trouver le courage de se lever, trouver un objet contondant … Trop compliqué. A la place, il opta pour cette stratégie pitoyable qui consiste à remonter sa couette jusqu'à son oreille. La porte claqua, laissant l'appartement à nouveau silencieux. Et lui trop irrité pour se rendormir.

Il chercha à tâtons son téléphone portable, qui affichait fièrement 4h27. Bon, certes, il avait dormi sensiblement plus de cinq minutes, en réalité. S'il arrivait aussi à en convaincre ses paupières il était sauvé … Il leva légèrement les yeux au ciel, avant de se lever. Retrouvant les murs blancs et bruyants de l'hôpital, ce matin-là, il fit le vœux que la journée soit relativement calme. Et bien sûr, la journée fut catastrophique. C'est donc avec un sourire empreint d'une satisfaction non dissimulée qu'il envoya paître le docteur -un nouveau, son visage ne lui disait rien - qui lui tendait ce dernier dossier, lui annonçant qu'il terminait son service dans moins de dix minutes et n'avait pas la moindre intention de faire des heures supplémentaires. De toutes manières, une bonne âme s'était déjà proposée pour s'en occuper … Dr. Fédorin Sommier, boy-scout national du bureau de la psychiatrie. À peine quelques années de différence avec lui du haut de ses trente-cinq ans, brun également - la ressemblance s'arrêtait là. Coupe au bol ridiculement démodée, sourire charmeur, basket et sac à dos posé sur une seule épaule lorsqu'il sortait de l'hôpital, chemise ornée de fines rayures aux couleurs de l'arc en ciel, tout en lui débordait d'une irritante fausse camaraderie. Lorsqu'il ouvrait la bouche, sa voix partait dans les aigües de façon soigneusement travaillée, comme s'il parlait perpétuellement par interrogations, sourcils haussés et moue ridiculement enfantine pour son âge, la condescendance d'un adulte s'adressant à un petit enfant. En silence, Jonathan le laissa parcourir son dossier, finissant les dernières gorgées de son thé vert-menthe du distributeur du deuxième étage ni bon-ni mauvais mais définitivement tiède en attendant que sa montre affiche 15h, lorsque les yeux de l'autre s'agrandirent comme des soucoupes en descendant sur le dossier.

"Tu ne devineras jamais à qui il est, ce dossier ! La petite légiste, la brune, tu sais … Pas très féminine, un peu brusque mais plutôt mignonne, avec un nom bizarre – elle s'est fait – ouch, c'est une horreur, ça."


Je m'en occupe.


L'autre se figea en une expression presque comique en d'autres circonstances, avant de retrouver un sourire courtois savamment travaillé. Jonathan n'était pas connu pour son zèle des plus exceptionnels, et il pouvait voir d'ici les petites mécaniques internes de Sommier s'agiter pour discerner s'il serait malvenu et trop peu courtois de le lui faire remarquer. Il opta finalement pour un "Bien sûr" lâché au milieu de l'alchimie délicate d'un plissement de sourire contrit associé au sourire qu'il réservait généralement aux infirmières, tout en lui donnant le dossier, que Jonathan saisit avec un sourire encore plus faux que celui de ce dernier. "Pas de problème particulier", ajouta l'autre, comme pour s'en assurer, tandis que lui s'éloignait.

Il jeta un œil à la feuille d'admission tout en appuyant sur le bouton d'ascenseur, sautant plusieurs passages pour en arriver à la description des blessures, la gorge exaspérément sèche … Cependant, cette dernière était apparemment hors de tout danger. Emmuré vivante … Assez ironique, pour une lectrice assidue d'Edgar Allan Poe - il doutait cependant qu'elle ait apprécié cette subtilité. Il sursauta presque lorsque l'infirmière qui se trouvait dans la cabine lui demanda son étage, lui répondant automatiquement tout en maudissant ce manque de contrôle. C'est plus méthodiquement qu'il descendit jusqu'à la rubrique des antécédents familiaux – voyez-vous ça … Il n'était guère mystérieux que la légiste se vante à présent d'avoir une imagination morbide, constata-t-il avec un léger rictus. C'est absorbé dans sa lecture qu'il parvint au mot claustrophobie, en même temps qu'au numéro de chambre de cette dernière, posa la main sur la poignée, commença à l'ouvrir – pour s'interrompre lorsqu'un cri soudain lui fit suspendre son avancée.

"Ne me touche pas !!!"

Gardant la main sur la poignée, un regard à l'intérieur de la pièce lui permit de reconstituer sans mal ce qui venait de se tramer. Il observa avec une froideur presque professionnelle la collègue de Jordan -celle-là même qu'il avait vu lors de la soirée organisée par leur immeuble – reculer avec une expression de culpabilité au visage. Une expression non moins coupable se lisait sur celui de Jordan, qui se rattrapa aussitôt aux branches, ou plutôt aux racines, en l'occurrence. Si la légiste était certes naturellement sur la défensive, elle avait aussi une assez bonne maîtrise de son tempérament, et il ne fallait pas être un génie pour comprendre à quel point sa dernière expérience l'avait laissée sur les nerfs … Vulnérable ? La voix du troisième occupant de la pièce, qu'il ne pouvait pas voir de sa position mais qu'il aurait reconnue entre mille, sonna bien plus désagréablement à ses oreilles. Son touchant "Vous ne croyez pas, Jordan ?" lui arracha un rictus ironique. Il n'avait qu'à lui donner son numéro de portable, au passage, pour que la légiste vienne grossir la liste de ceux qui l'appelaient à des heures impossibles - même s'il commençait à avoir une autre vision de ce qui avait causé ce départ si précipité. Ces effusions de série B commençaient à sérieusement l'irriter – il allait entrer quand "Stella" sortit, lui adressant au passage un regard réprobateur qu'il ignora, reportant son regard sur Jordan, se reculant tout de même pour la laisser passer. Il s'inséra dans l'ouverture dés qu'elle fut passée, pour se trouver face à l'inspecteur Abberline, prêt à faire sa sortie. Ce dernier semblait des plus délicieusement contrarié de le trouver ici ; il lui rendit la chaleur de son accueil par un sourire qui valait presque l'un de ceux de Sommier dans ses plus grands jours.


Navré d'interrompre votre attendrissante petite réunion, glissa-t-il juste suffisamment fort pour que l'inspecteur l'entende. Mais comme vous le voyez - il agita légèrement le dossier qu'il tenait en main, la provocation se lisant sans difficulté sur son visage – J'ai du travail ici. Je vous serai donc gré de retourner à vos petites affaires, ou coups de fils en tout genre.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 24 Jan 2010, 01:18

Jonathan Crane. Bon Dieu, cet hôpital comptait au moins une dizaine de psychologues, et il fallait que ce soit lui qui prenne en charge le cas de Jordan ! Frederick ne croyait pas au destin, il ne croyait plus en Dieu depuis belle lurette, et la notion de karma lui était inconnue, n'étant pas à la mode à son époque. Mais l'espace d'un instant, il se demanda si Jordan Cavanaugh n'avait pas été maudite ce jour-là.

Car il s'était renseigné sur son colocataire, depuis leur première discussion. Et ce qu'il avait appris à son sujet n'était fait ni pour lui plaire, ni pour le mettre dans une disposition favorable à son égard. Il ne comprenait pas comment un homme qui avait été interné pour avoir sciemment rendu folles plusieurs personnes, qui avait été déclaré par plusieurs experts sociopathe irrécupérable - et Frederick s'était documenté sur la question pour être bien sûr de comprendre de quoi il s'agissait - et qui avait réussi, bien qu'enfermé, sous psychotropes, et parfois même camisolé, à aggraver l'état de plusieurs de ses codétenus, allant jusqu'à en pousser certains au suicide - il ne comprenait pas qu'un tel homme soit non seulement libre - ou du moins en semi-liberté - mais qu'on lui confiât en plus l'esprit de patients, souvent affaiblis.

Foutredieu, voilà qu'en plus, il se mêlait de se payer sa tête ! De manière détournée, il lui reprochait son manque de discrétion du matin, et se moquait de sa sollicitude à l'égard de la légiste. Frederick manqua de répliquer qu'il ne pouvait pas comprendre les exigences de l'amitié, puisqu'il était dépourvu de tout ami, mais la puérilité et la mesquinerie d'une telle considération le retint, lui faisant même honte qu'elle ait seulement pu lui traverser l'esprit. C'était indigne de lui. Il se contenta de toiser son adversaire, froidement.

Les traits d'Abberline étaient figés, son regard brillant d'un éclat plus dur que d'ordinaire. Il se foutait que son adversaire s'amusât à essayer de percer son esprit, de lui faire perdre son calme, voire même, si ça lui chantait, de réveiller ses démons. En revanche, il ne pouvait permettre que son colocataire s'en prît à une personne pour qui il éprouvait estime et amitié, et même - même ! - une certaine affection. Hélas, ne faisant pas partie de la famille de Jordan, il ne disposait d'aucun moyen légal de l'empêcher de se charger du dossier. Il hésita un instant à avertir Jordan, et ainsi obtenir qu'elle le récusât d'elle-même... mais y renonça. Inutile de l'effrayer.

A voix basse, juste assez fort pour que Crane puisse l'entendre, il gronda :


Je ne ferai pas de scandale dans la chambre d'une amie souffrante, mais sachez que si vous vous avisez de vous livrer à votre jeu favori sur elle, j'abandonne les échecs pour la bataille navale. Et je vous jure que je vous coulerai.

Puis, il se retourna et lança :

Je vous laisse, Jordan. Prenez garde à vous. Il marqua un temps. Je vous jure que nous le retrouverons.

Et, sans accorder le moindre regard à Crane, il quitta enfin la pièce. Quelques instants plus tard, il était dehors sur le parking de l'hôpital et allumait une cigarette, son regard s'égarant sur la façade du bâtiment, cherchant machinalement la fenêtre de la légiste. Il espérait que tout se passerait bien. Il se doutait que son avertissement n'aurait pas impressionné Crane, mais il espérait que cela le ferait réfléchir à deux fois avant de s'en prendre à Jordan. Et il n'était pas dans sa nature d'attaquer sans avoir prévenu à l'avance. C'était sans doute un tort. Mais c'était ainsi. Et au moins, il n'aurait aucun scrupule à écraser son colocataire si jamais celui-i faisait quoique ce soit à son amie...

Il haussa les épaules, écrasa son mégot sous sa semelle, le jeta dans la poubelle la plus proche, alluma une nouvelle cigarette et s'éloigna enfin, d'un pas assez rapide.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 24 Jan 2010, 03:53

Jordan ferma un instant les yeux. Elle appréciait que Stella prenne aussi bien sa remarque, mais ne se sentait pas le courage de soutenir son regard, ni celui d'Abberline. Elle n'aimait pas sentir la compassion dans leurs mots, leurs expressions, leurs voix. Elle ne voulait pas qu'on s'occupe d'elle. En cet instant, elle aurait donné n'importe quoi pour qu'ils partent, qu'ils la laissent seule, qu'elle puisse se reprendre, reprendre le contrôle de ses pensées, être de nouveau capable d'enrayer tout dérapage sentimental de quelques mots, comme toujours. Elle se sentait fatiguée, elle se sentait faible, elle avait mal, et le coup qu'elle avait reçu à la tempe semblait résonner dans sa tête à chaque pulsation de son coeur, à chaque mot prononcé, à chaque pensée ébauchée. Elle aurait voulu ne pas sentir chaque nerf de son corps vibrer et grésiller comme des fils électriques dénudés, elle aurait voulu ne pas ressentir chaque son comme une intolérable agression. Elle aurait voulu ne pas être ce naufrage humain, cette poupée cassée dans un lit d'hôpital, qui risquait à tout instant d'éclater en sanglots nerveux. Les mots de l'écrivain Henri Calet lui traversèrent l'esprit, comme une lointaine réminiscence. Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. Soudain ces deux phrases prirent une résonance particulière à son oreille. Ne me touchez pas. Je suis pleine de larmes.

Elle sentait sa gorge se serrer. Elle se força à déglutir, à ouvrir les yeux, à revenir à la réalité. Concentre-toi ma fille. Concentre-toi sur ces questions de preuves, d'investigations. Elles sont ton quotidien. Elles sont ce qui doit occuper ton esprit. C'est ce à quoi tu dois te raccrocher. Elle hocha la tête à la réponse de Stella. Oui, bien sûr, faire parler les preuves, puis tenter de les expliquer. C'était normal. Elle le savait en plus. Elle eut une ébauche de sourire amusé - elle ne pouvait pas faire mieux - à la remarque de Stella sur ses rapports d'autopsie, mais ne répondit pas et eut un léger mouvement de sa main la plus valide pour saluer son départ.

Elle referma les yeux quand Abberline reprit la parole. En temps normal, elle appréciait énormément l'Anglais. Mais en cet instant, elle aurait été capable de lui hurler de se taire, si la migraine qui avait pris possession de son cerveau ne lui en avait ôté la force. Pourquoi les gens ne comprenaient-ils pas qu'elle ne voulait pas de leur compassion ? Pourquoi personne ne semblait entendre qu'elle ne supportait pas d'être couvée, qu'on lui fasse ressentir à quel point elle était faible en cet instant ? La seule chose que son père lui ait réellement appris était de toujours être forte, et elle avait jusque là réussi, ou tout du moins avait réussi à le faire croire aux autres et à s'en persuader elle-même. Pourquoi ne voulait-on pas la laisser tranquille, sans souligner cet échec dans ce qui était sa ligne de conduite depuis l'enfance ? Bien sûr, l'intention était bonne, mais elle était dans un état nerveux si pitoyable qu'elle avait l'impression que chaque mot était comme une brûlure...

Enfin, l'inspecteur se décida à partir. Elle rouvrit les yeux et hocha la tête à sa dernière phrase, plus par réflexe de politesse que parce qu'elle savait vraiment ce qu'il avait dit. C'est à cet instant qu'apparut dans l'encadrement de la porte une nouvelle silhouette familière. Dr Jonathan Crane. Jordan hésita entre le désespoir et le soulagement. Désespoir de devoir raconter sa débâcle à une personne qu'elle appréciait et estimait. Soulagement de ne pas avoir affaire à un étranger. Elle trancha pour une troisième option : la lassitude face au conciliabule que les deux hommes partagèrent. Elle ne se sentait vraiment pas la force de supporter une altercation, même si celle-ci demeurait un échange de répliques acides. S'ils commençaient, elle était décidée à les faire foutre dehors
manu militari si besoin était. Mais Abberline coupa court en se retournant vers elle et en concluant d'une façon qui se voulait réconfortante. Elle se contenta de hocher de nouveau la tête, un peu plus sèchement, et détourna les yeux.

Quand il eut disparu, elle reporta son regard sur Crane. Elle s'efforça d'esquisser un rictus ironique, et prononça :


Avouez... Je rendrais des points à Carolyn Jones, non ?
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyMar 26 Jan 2010, 03:00

La menace à peine voilée de l'inspecteur Abberline, loin de le surprendre ou de l'irriter, ne fit cette fois qu'ajouter un éclat d'anticipation au regard de Jonathan. Une agressivité si affirmée n'était que preuve, s'il en était besoin, qu'il avait mis plein pied sur un territoire sensible. Attaquez-le personnellement, il ne vous répondra que par un froid mépris. Menacez seulement de vous en prendre à ce – ou plus précisément ceux – à quoi il tient un tant soit peu et la réaction est déjà différente ... La louve dont on a percé la tanière, qui défend ses petits en montrant les dents.

J'espère que vous arriverez à me couler avant que la "fréquence" de mes bains de soleil sur le pont ne me fasse décéder d'un cancer de la peau, murmura-t-il avant que ce dernier ne fasse volte-face.

Il le regarda partir sans un mot ni un regard – seigneur, que diable avait-il fait pour mériter tant d'impolitesse – avant de reporter son attention sur la légiste, à présent patiente de cet hôpital dans lequel elle officiait. Il était cependant appréciable qu'elle ne le soit pas de son propre service. Évidemment … Il fallait que la première faiblesse qu'il perce à jour chez l'inspecteur se trouve aussi être l'une des rares personnes dont il appréciait la compagnie. Autant pour l'ironie du sort. Abberline avait cependant négligé un point, un point dont il ne semblait pas être conscient, ce qui était d'ailleurs hautement préférable. Appelez cela appréciation, estime ou ce que vous voudrez, Jonathan ne plaçait pas le docteur Cavanaugh sur le même plan que sa partie d'échecs avec l'inspecteur. Il n'avait pas encore décidé de sa ligne de conduite future, mais il savait déjà que d'autres critères que sa rivalité envers ce dernier entreraient en compte dans ce qui allait se jouer.

Il avait lu l'irritation sur le visage de Jordan lors de son conciliabule avec son colocataire, mais l'énervement passé, même son rictus ironique soigneusement travaillé ne parvenait pas à masquer la fatigue qui se lisait sur ses traits. Fatigue physique traduite par une teint plus pâle que d'ordinaire, presque gris, des yeux un peu trop luisants et des joues un peu creusées, l'entourage désagréablement inhabituel d'un lit d'hôpital, et tous les artifices aseptisés qui transforment une personne en patient. Plus que tout, son maintien légèrement tremblant trahissait le chaos que devait être son esprit en cet instant, et il n'aurait pas été surpris qu'elle éclate en sanglots nerveux avant la fin de leur conversation. Malgré ce triste état, il ne put retenir une pointe d'estime pour le tempérament de la légiste. Nul doute qu'elle aurait préféré être seule pour ne plus avoir à torturer ses nerfs déjà amochés, pourtant elle s'efforçait encore de ne rien en laisser paraître … Il eut un rire discret à son essai d'humour presque digne d'un de ses lendemains de nuit blanche.


Carolyn Jones, peut-être pas ... Jackie Coogan, définitivement. Ce léger détail mis à part, vous semblez indubitablement aussi fraîche qu'une fleur. Joli plâtre, soit-dit en passant : je vous aurais bien proposé de le signer, mais ça risque de faire jaser les infirmières. Du moins, si elles ont fait l'effort de retenir autre chose que l'heure de leur pause café.

Il rapprocha l'une des chaises du pied du lit de Jordan pour s'y assoir, reprenant le dossier qu'il avait écarté le temps de saluer cette dernière.

Agression, hein … Vous n'aviez pas besoin d'un prétexte aussi élaboré pour vous offrir une séance en ma compagnie, ironisa-t-il. Un simple bilan annuel aurait amplement suffit.

Le barrage de l'humour noir, si rôdé qu'il semble être chez son interlocutrice, ne tiendrait probablement pas éternellement, pas tant qu'elle n'aurait pas proprement déchargé ses nerfs … Et si le léger trouble, un peu irritant, que l'état de la légiste avait fait naître en lui n'était pas à son goût, la subtile pointe de curiosité malsaine qu'éveillait cette idée lui était déjà, quant à elle, un peu plus familière ...
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyMar 26 Jan 2010, 21:54

Jordan eut une légère grimace. Il venait tout de même de la comparer à l'Oncle Fester... Et le compliment qui avait suivi était si clairement ironique que toute autre femme s'en serait offusquée. Jordan elle-même hésitait à se sentir vexée. Elle finit par conclure qu'il s'agissait d'une perte inutile d'énergie et eut un rictus.

Tant qu'à faire, je dirais plutôt Blossom Rock. Je manque un peu trop d'énergie pour Fester. Je n'ai pas eu le temps de me recharger, désolée. Quant à la fleur... oui, le genre carnivore, qui vit dans les marais, à la rigueur.

L'autodérision était depuis toujours l'une de ses meilleures armes. Noircir le tableau le plus possible au point que l'accumulation devienne drôle. C'était encore ce qu'elle avait trouvé de mieux avec l'ironie pour se protéger. Et tant qu'elle en aurait la force, elle s'y raccrocherait. Pathétique ? Peut-être. Chacun ses réflexes de défense, et Jordan était partisane de la réplique de Cyrano : "car / Je me les sers moi-même avec assez de verve / Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve."* C'est moins douloureux pour l'orgueil et ça permet de clouer le bec radicalement à certains.

La remarque sur les infirmières, en revanche, lui tira un sourire un peu plus détendu. Aaaah, les légendaires pauses café...


Retenir autre chose que la pause café... Vous ne croyez pas que vous être un peu trop ambitieux, là ? Restons dans les limites du raisonnable, il y a des choses qui défient l'imagination !

Faisant un effort, elle parvint à se redresser un peu et à se remonter sur l'oreiller'. Moyennant une douleur qui avait couru le long de tout son corps comme une décharge électrique. Sentant quelque chose couler au coin de son oeil, elle y porta sa main valide, pensant qu'il s'agissait d'une larme de douleur... Le rouge qui tâchait ses doigts la détrompa vite. Avec agacement, elle tendit la main pour attraper un mouchoir sur la tablette et le pressa sur son arcade avec un soupir exaspéré et en pestant intérieurement contre l'abruti qui l'avait recousue si mal. Même elle aurait pu mieux faire ! Et si ça se trouvait, elle aurait même réussi à rendre ça esthétique, elle !

Toutefois, la remarque suivante de Crane, pour chargée d'ironie qu'elle fût, lui fit l'effet d'une gifle. Le souffle un instant coupé, elle ne put retenir le frisson qui courut le long de son échine et s'aperçut que sa main tremblait. Elle se mordit la lèvre inférieure. L'espace d'une seconde, un voile noir passa devant ses yeux. Il lui semblait presque y être encore... Son coeur s'emballa, et un goût amer manqua de la faire tousser... Elle secoua la tête, s'arrachant d'un effort titanesque à sa transe. Celle-ci n'avait pas duré plus d'une seconde. Elle mobilisa toutes ses forces pour maîtriser le tremblement de ses doigts et celui de sa voix tandis qu'elle répondait, grimaçant un sourire forcé :


Vous vous rendrez vite compte que je suis un rien Shadok sur les bords : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Sa voix dérapait. Presque imperceptiblement, mais elle savait qu'il ne manquerait pas de le remarquer. Elle se surprit à le supplier mentalement de ne pas relever, de faire semblant de rien... Qu'il lui laisse le peu de dignité qui lui restait...

Spoiler:
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 31 Jan 2010, 06:32

Jordan n'était manifestement pas décidée à entrer dans le vif du sujet, ça non … Il doutait même qu'elle en soit capable physiquement aussi bien que mentalement, pour le moment. Il n'avait pas manqué la façon dont le fait d'évoquer l'agression, même par un simple trait détourné, l'avait déstabilisé, même si cela n'avait duré qu'une seconde – enfin, une seconde en apparence, à en juger par la façon dont ses doigts tremblaient encore, dont sa voix se dirigeait lentement mais sûrement vers les aiguës. Manquant à ses habitudes, Jonathan ne répondit pas aux traits d'humour de cette dernière, assez admirablement recherchés dans son état de fatigue, se contentant de l'écouter patiemment mais sans mot dire ...

Je dirais à une infirmière de regarder votre arcade en sortant
, dit-il, malgré tout, d'une voix presque civile, lorsque la dite arcade sembla lui causer quelques problèmes, tout en doutant de la stérilité du mouchoir qu'elle appliquait contre la blessure. Tant qu'il ne venait pas du pavillon des tuberculeux ….

Il aurait pu attendre, lui renvoyant tranquillement la balle sans interrompre leur musique "habituelle", que l'état de cette dernière la force de lui-même à déraper, ou revenir oralement sur l'affaire avec un froid tout professionnel. Deux manières différentes mais qui la forceraient toutes deux, inéluctablement, à entrer dans le vif du sujet quel qu'en soit le résultat. Mais parce qu'il avait un peu d'estime pour elle, il décida plutôt de lui laisser le choix.


Jordan … Il se mordit légèrement la lèvre en entendant le prénom qui était sorti de ses lèvres, mais il était un peu tard et il perdrait moins la face en continuant sans sembler le relever. Vos tentatives d'humour et de vous rendre maître de vous-même, si louables soit-elle, sont aussi peu efficaces que la serviette que la ménagère qui vient de se prendre deux doigts dans le hachoir à viande plaque sur ce qui lui reste, en espérant que ça se ressoudera tout seul si elle arrête d'y regarder.

Faisant une petite pause, il enchaîna malgré tout assez vite, d'un ton neutre, sans fausse commisération, suffisamment vite pour ne pas la laisser répliquer, caser un trait d'humour, détourner le sujet ou que sais-je encore.


J'ai déjà vu les réactions les plus "diverses" et colorées chez des patients en état de choc, et j'imagine que je vous mépriserai autant pour ça que vous me mépriseriez pour être froid et malodorant si vous me trouviez sur votre table de travail.

Non, mépriser n'était pas le bon mot, loin de là, même si certaines étaient assurément pathétiques, chaque esprit brisé, chacun des mécanismes des traumatismes divers, n'en demeuraient pas moins des plus fascinants. Et il avait le sentiment que si la légiste en venait à craquer, le résultat tiendrait bien plus de la seconde tendance que de la première ... Pas qu'il voulait la voir brisée, non, pas pour le moment – surtout pas par une fichue source extérieure, d'ailleurs. Il avait le sentiment désagréable, presque déplacé, qu'il serait du gâchis de voir disparaître un tel tempérament. Mais cela ne l'empêchait nullement de jouer un peu, juste pour voir … Il ne croyait ni au hasard ni à la destinée, mais il croyait indubitablement aux opportunités, ces opportunités qui se présentent à vous et que vous ne reverrez jamais si vous êtes suffisamment stupides pour les laisser filer. Et il serait aussi un gâchis avéré de ne pas profiter de cette occasion particulière.

Alors voulez-vous tenter d'entrer dans le vif du sujet, ou continuer à tourner autour du pot jusqu'à ce que vos nerfs lâchent d'eux-même ?
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 31 Jan 2010, 22:50

Jordan détourna la tête, fixant obstinément la fenêtre tandis qu'il parlait. Evidemment, il avait raison. S'accrocher désespérément ainsi qu'elle le faisait aux quelques lambeaux d'humour noir qui lui restaient devait avoir quelque chose de pathétique. Elle avait le sentiment d'être nue et de tenter de se dissimuler derrière des haillons. Aussi inutile que pitoyable. Ses nerfs commençaient à la lâcher, elle pouvait le sentir au tremblement de sa main valide, aux frissons répétés qui couraient le long de son échine, à la boule qui s'était installée dans sa gorge et semblait ne pas vouloir redescendre. Incessamment, elle allait craquer. Et cette idée la faisait proprement enrager.

Elle n'avait plus pleuré depuis l'âge de dix ans, à l'enterrement de sa mère. Elle avait alors compris que pleurer ne menait à rien, et avait toujours refusé de se laisser aller à ce genre de faiblesse depuis. S'apitoyer sur son sort était une perte de temps, et elle ne voulait pas se le permettre. Effacer l'ardoise, oublier et passer à autre chose, agir. Voilà sa ligne habituelle de conduite. Mais aujourd'hui, elle ne le pouvait pas. Parce qu'elle était bloquée dans un fichu lit d'hôpital, avec un trauma crânien qui allait lui valoir des jours d'examens en tous genres, une main bousillée qui allait l'empêcher de reprendre le travail pendant trois mois, et un certain nombre de joyeusetés du même genre qui la rendaient dingue.

Quoique plongée dans ses pensées, elle avait tout de même tiqué en s'entendant appelée par son prénom. Un sentiment d'étrangeté vint s'ajouter à son malaise général. Jamais Crane ne l'aurait appelée Jordan si elle n'avait pas été dans cet état lamentable. Et cette constatation d'abord presque réconfortante, vint très vite s'ajouter à la liste des choses qui heurtaient sa susceptibilité momentanément exacerbée. Et, tout d'un coup, elle explosa :


Le vif du sujet ? Si vous y tenez vraiment, je vais y entrer ! Le vif du sujet c'est que j'ai été droguée et boxée par un type dont je n'ai même pas pu voir le visage, qui m'a broyé la main au point que je ne suis pas sûre de retrouver suffisamment de mobilité pour pouvoir reprendre correctement le boulot, qui s'est servi de ma tête comme d'un ballon de football pour tirer un penalty et qui a fait un remake du Chat Noir d'Edgar Allan Poe sans même avoir la décence de vérifier que j'étais bien morte avant de refermer le mur. Le vif du sujet, c'est que j'ai mal, que j'ai été minable sur ce coup-là, que je n'ai même pas eu la présence d'esprit de lever les yeux vers lui quand j'en ai eu l'opportunité, que je me suis moi-même mise dans cette position, que j'ai agi comme une imbécile et que je suis aussi furieuse qu'humiliée. Le vif du sujet, c'est que j'ai eu la plus grande peur de ma vie, que j'ai souhaité mourir dix fois dans ce trou et que je vais me mettre à pleurer comme une gamine alors que je m'étais juré que ça ne m'arriverait plus jamais ! voilà le vif du sujet ! Content ?

Elle avait sorti cette tirade d'une traite, sans reprendre souffle et sur un débit de mitraillette, furieuse de voir le contrôle de ses nerfs lui échapper, d'entendre sa voix grimper inexorablement vers les aiguës pour finir presque une octave au-dessus de son alto habituel, de sentir sa gorge se nouer au point de la priver d'air et les larmes commencer à couler sur ses joues. Elle détourna rageusement la tête et étouffa un sanglot en plaquant son poing sur ses lèvres. Elle ne put totalement retenir le suivant et ferma les yeux pour essayer une dernière fois de se calmer.

L'absurdité et l'injustice de son comportement lui apparaissait à présent. Trop tard, évidemment. Crane ne faisait que son travail, il n'était pas responsable de ce qui s'était passé, ce n'était pas lui qui l'avait emmurée. Elle n'avait pas le droit de s'en prendre à lui et encore moins de déverser sur lui son trop-plein de stress. Et à la colère, à la frustration, à la peur qui continuait à s'accrocher à ses os comme quelque charognard, à la honte, vint s'ajouter un autre sentiment : la culpabilité. Oh, bien sûr, Crane avait dû en entendre d'autres, et sûrement des pires... mais Jordan estimait que sa propre situation n'était pas une excuse pour s'attaquer aux autres.

Elle rouvrit les yeux et essuya quelques larmes d'une main nerveuse. Elle avait réussi à recouvrer un semblant de calme, précaire, et si sa voix tremblait toujours, tout au moins était-elle redescendue à sa tonalité normale quand elle parvint à articuler :


Je suis désolée. Je... je me conduis comme une parfaite idiote et c'est vous qui devez en subir les effets. Elle prit une longue inspiration et conclut : Excusez-moi. Ce... ce n'est pas dirigé contre vous. C'est après moi que j'en ai.

Ah, elle devait être belle, tiens. Ridicule comme un pantin dont on aurait coupé les fils, les larmes continuant à courir sur ses joues sans qu'elle puisse rien y faire pour les arrêter, les sanglots pour l'heure ramassés dans sa poitrine, mais qui n'attendaient qu'une occasion pour revenir en force... Jordan en cet instant avait vraiment le sentiment d'avoir touché le fond.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyVen 05 Fév 2010, 01:12

La dernière corde qui retenait les nerfs de Jordan ne tardèrent pas à céder, dévoilant scène par scène le spectacle d'un esprit en train de se briser peu à peu. Il regardait la légiste sombrer dans les méandres de ses propres démons avec un mélange de fascination morbide, mêlé d'un déplaisir qu'il ne voulait accepter mais ne pouvait écarter. Avec les larmes qui coulaient sur ses joues, rendues d'autant plus pathétique de par ses efforts pour les retenir, ses yeux piquetés de rouge, le tracé de larmes luisante desquelles était prisonnière une mèche de cheveux d'un brun sombre, elle renvoyait une apparence de fragilité presque hors de place. Des considérations qui n'avaient absolument rien à faire dans l'histoire, et il était profondément irrité qu'elles lui aient même effleuré l'esprit. Comme si c'était le moment.

Content, ce n'est pas le mot que j'aurais personnellement employé – il haussa les épaules - mais je suppose que dans les circonstances actuelles je peux vous l'accorder.

La force de Jordan était en réalité probablement sa plus traître faiblesse – à tirer elle même sur la corde, ne se pardonnant aucune faille, elle userait implacablement la fibre même de son être. Paradoxalement, c'était l'un des côtés de sa personnalité qui avait le plus retenu son attention : c'était un plan sur lequel il n'étaient pas si différent, elle et lui. Mais lui avait renoncé à l'émotion, aux attachements auxquels la légiste était encore liée – toutes ces choses si usantes pour l'esprit, il les avait écartées il y a longtemps déjà … Et c'était là la considération essentielle qui les distinguaient, tous les deux. Ce qui avait fait d'elle, en cet instant, une victime.

Elle finit par se reprendre suffisamment pour parler, et il interrompit le cours de ses réflexions pour l'écou – il manqua de lui faire répéter ses paroles, se reprenant à la dernière minute. Elle – s'excusait ? D'une, la situation s'y prêtait difficilement. De deux, plus occupé à observer sa chute et la perte de ce qu'il lui restait de retenue, la possibilité de prendre les mots de cette dernière pour attaque personnelle lui était totalement passée à côté, il fallait bien l'avouer. Il faut dire qu'il avait été habitué à bien plus hargneux ou plus démonstratif. Mais plus inquiétant, ou plus déconcertant, étaient les conséquences irréfutables qui découlaient d'un tel comportement : Jordan avait du respect pour lui. Une idée qui ne lui avait pas précisément effleuré l'esprit jusqu'à présent, et proprement déstabilisante … Jonathan grinça des dents en s'apercevant qu'il était resté bêtement silencieux depuis la dernière réflexion de la légiste – heureusement pour lui, elle n'était probablement pas en état de noter le léger trouble qui l'avait un instant brouillé. Mais avec elle, il valait mieux se méfier. Et le moment était mal choisi pour se laisser ébranler. Il devait décider de sa ligne de conduite – maintenant.


Oh, vous n'avez pas à vous excuser. Il se débarrassa du dossier qu'il posa quelque part sur le sol, pour se rapprocher d'un iota de la tête du lit. J'ai pris votre dossier à l'un des psychologues les plus incompétents de l'hôpital, ce qui n'est pas peu dire, parce que j'avais envie de m'en charger. Lui vous aurait dit que la guérison passe par le fait d'accepter qu'il y a des choses qu'on ne peut empêcher, ou quelque autre connerie d'auto-compassion du même acabit. Et bien j'ai un scoop : les stupidités qu'il sert aux dossiers dont il veut se débarrasser avant la pause déjeuner, il les trouve dans les magazines de la salle d'attente de son dentiste.

Il sortit un mouchoir d'un paquet qu'il avait sur lui – de provenance bien moins douteuse que le paquet qui trônait sur la table de nuit, qu'il amena sur la joue de Cavanaugh, écartant doucement d'un doigt la mèche qui s'était collée aux larmes qui y coulaient. Son doigt laissait tomber la mèche librement sur le côté plutôt que la glisser derrière son oreille ( geste un peu trop ambigu et empreint de clichés hollywoodiens à son goût), puis il posa le mouchoir dans la main de la légiste, avant de retirer la sienne. Une proximité qui n'avait duré qu'un quart de seconde, mais lui laissait un léger arrière goût de malaise, qu'il se hâta de masquer. Il s'était assuré de bien capter le regard et l'attention de la légiste, au moins, cette fois … Une fois n'est pas coutume, il allait réellement aider l'un de ses patients. Mais pas selon les règles du manuel.

Vous allez en avoir pour un sacré bout de temps de convalescence, indubitablement … Mais vous allez bien sortir de cet hôpital un jour, et c'est l'occasion de mettre ce temps à profit pour quelque chose de réellement constructif, plus constructif que de stupidement "en avoir après vous-même". Réfléchir à ce que vous allez faire de celui qui a pensé qu'il pouvait faire joujou avec vous en toute impunité.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyVen 05 Fév 2010, 17:41

Crane ne répondit pas immédiatement, ce qui laissa à Jordan quelques instants pour se reprendre. Ou du moins tenter. Le regard tourné vers la fenêtre et le ciel qui s'assombrissait peu à peu, elle s'efforçait de se rappeler quelques exercices de respiration comme ceux qu'elle pratiquait il n'y avait pas si longtemps encore pour retrouver la maîtrise de ses nerfs, le contrôle de son corps et de son esprit. Mais rien ne lui revenait. Son esprit tournait sur lui-même, comme un cercle dans une spirale, une roue prise dans un engrenage, un tunnel sans début ni fin qui déboucherait sur un autre tunnel, qui mènerait sur une enfilade de salles vides et sombres dont on n'ouvrirait plus les volets. La mécanique était cassée, qui permettrait pour un instant d'arrêter sa course folle d'animal en cage et de réparer ce qui avait besoin de l'être. Les larmes ne tarissaient plus, silencieux flot qui coulait lentement le long de ses joues. Jordan ne se souciait même plus de les essuyer, trop heureuse déjà de ne plus sangloter. Et après, on se demandait pourquoi elle ne faisait jamais rien pour son anniversaire. Simplement parce qu'il ne lui arrivait jamais que des ennuis ces jours-là. Et aujourd'hui était le summum sans doute. Joyeux quarante ans, Jordan.

Enfin, il parla. Essentiellement pour rhabiller pour l'hiver le collègue qui semblait avoir eu des velléités de prendre son dossier avant lui. Par réflexe, elle avait retourné son visage vers lui, l'avait regardé pendant qu'il parlait. Sa dernière phrase lui arracha un sourire. Un sourire qui n'était pas même l'ombre de son habituel sourire narquois, mais l'espace d'un instant, elle redevint elle-même. La sarcastique langue de vipère, qui n'aimait rien tant que tailler des costards à son entourage. Rien que pour cela, pour ces quelques secondes où elle reprit pied dans la réalité, elle fut reconnaissante au psychologue.

Mais il eut à cet instant un geste qui lui fit reperdre tout le bénéfice de l'instant précédent. Lorsqu'elle vit sa main approcher de son visage, elle fut prise de panique. Une peur viscérale, instinctive, la saisit et elle se rejeta en arrière avant de se figer, tétanisée, comme un animal blessé, le coeur battant, le souffle court, crispée dans chaque fibre de son être, incapable de faire le moindre geste pour se défendre ou simplement se protéger. Son visage déjà pâle avait plus encore blêmi, son regard avait l'expression affolée du gibier poussé dans ses derniers retranchements. Elle s'apaisa à peine quand elle constata qu'il se contentait d'écarter une mèche de sa joue et de déposer dans sa main valide un mouchoir tiré de son propre paquet.

Elle demeura quelques secondes immobile, le temps pour son coeur de s'apaiser, pour les pulsations qui battaient à sa tempe un rythme endiablé de cesser, pour elle de réaliser ce qui venait de se passer. Avait-elle vraiment paniqué à ce point pour un geste somme toute innocent ? Son regard descendit sur le mouchoir déposé dans sa main. Elle déglutit. Elle était vraiment en train de perdre la tête. Un visage s'imposa à elle. Un visage hagard et perdu, qui avait eu ce même mouvement de panique alors que ses mains d'enfants avaient seulement voulu en effacer les larmes. Ses doigts se refermèrent convulsivement sur le mouchoir, au point que ses jointures devinssent blanches, comme on se raccroche à la dernière branche qui vous empêche de couler. Elle était en train de devenir comme sa mère.

Elle releva les yeux vers Crane alors que celui-ci lui parlait, encore plus mortifiée que précédemment. Décidément, elle faisait tout de travers depuis le début de la journée. Elle ne répondit rien à ses paroles. D'abord parce qu'elle était incapable de parler. Ensuite parce qu'il était encore trop tôt pour qu'elle soit réceptive à sa suggestion. Elle comprenait les mots, leur sens, mais ils n'éveillaient aucun écho en elle. Elle était trop fatiguée, trop mal en point pour cela. Machinalement, néanmoins, elle hocha la tête. Le désir de vengeance viendrait plus tard. Quand elle aurait repris des forces. Quand elle aurait cessé de s'épuiser à essayer de ramasser et de maintenir ensemble les morceaux brisés de sa mécanique interne.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyLun 01 Mar 2010, 00:40

Jordan le laissa parler sans mot dire, et Jonathan finit par se taire lui-même. Une pointe de déception, peut-être, mais surtout autre chose. Plus sombre, et qui n'était pas étranger au mouvement de recul que Jordan avait esquissé un peu plus tôt, les yeux brillants comme ceux d'un lapin pris au piège. Il avait suffit d'un instant pour qu'elle bascule de la pointe de sarcasme qu'elle avait retrouvée à un état d'affolement incontrôlé, une lueur de peur au fond des yeux. Lueur qui avait aussitôt réveillé l'envie de jouer, comme à son habitude ...

Ce n'est pas le moment, se marmonna-t-il.

Son regard dériva jusqu'à la main endommagée de la légiste, recouverte d'un plâtre. Amusant, qu'il ne soit venu à l'esprit d'aucun des deux joyeux lurons de tout à l'heure de le signer lors de leur réunion tupperware improvisée, avant son arrivée. La légiste avait marqué un point, cependant, un peu plus tôt, en ce qui s'agissait de l'impact des dommages, des séquelles éventuelles. Il s'imaginait difficilement ce que quelqu'un comme Jordan deviendrait si elle devait renoncer à son travail. L'aperçu qu'il avait eu de son dossier médical, de ses antécédents familiaux lui revint en mémoire, et une pointe d'inquiétude lui traversa soudain l'esprit. Et si elle restait dans cet état ? Si son esprit finissait par s'étioler comme celui de sa génitrice, ne laissant plus au final qu'un de ces échos flottants d'esprits dont il n'y a plus rien à tirer ...

La voir hocher la tête comme une gamine prise en faute l'irrita encore plus profondément, et il saisit Jordan par son poignet le plus valide, plantant un regard en colère dans le sien, à la recherche de signes plus familiers que le regard qu'elle lui avait lancé plus tôt. Mouvement stupide, se sermonna-t-il en lui-même -trop tard. Mais il voulait obtenir une réaction, et si c'était un hurlement de panique – ou de douleur - grand bien lui fasse. Au moins ce serait quelque chose. La fin justifie les moyens comme on dit, et tant qu'il ne la faisait pas tomber en crise de tétanie c'était probablement acceptable. La saveur des cris de frayeur, il y était habitué et eux au moins ne le dérangeaient pas. Pas comme cette attitude de poupée cassée ….


Je ne vais pas vous manger, Dr. Cavanaugh. Il apprécia la résonance du nom de famille de cette dernière, qui sonnait bien moins unusuel que son prénom, en particulier dans ces circonstances. Je ne sais pas ce que l'on raconte sur les psy mangeurs d'hommes dans les couloirs de l'hôpital, mais même la qualité de la nourriture qu'on nous sert ne m'a pas encore poussé à ces retranchements.

Deuxième contact physique en peu de temps, cette dernière allait d'ici peu pouvoir lui donner des leçons sur l'espace personnel. Surtout que c'était quelque chose qu'il évitait comme la peste, avec ses patients. D'une, simplement parce que le contact le répugnait, et deuxièmement simplement parce que ce genre de commisération, à la mode dans les séries à l'eau de roses, était pure perte de temps. L'absurdité de son comportement le frappa. Il venait d'avoir le preuve visuelle de l'intérêt d'Abberline pour Jordan, après tout, et il se trouvait en face de l'occasion idéale de faire échec à la reine, et par la même occasion un joli pied de nez au cavalier. Il se soupçonnait d'avoir eu cette réaction non uniquement pour obtenir une réaction de la part de Jordan, mais pour chasser de lui-même le sombre instinct qui lui dictait de la mener à sa perte. L'idée l'effleura qu'avant d'être une faiblesse pour Frederick, Jordan en était peut-être une pour lui-même. Une idée qu'il repoussa aussitôt, non sans en avoir éprouvé un frisson d'horreur ...

Vous êtes irritante, glissa-t-il à demi pour lui-même, avant de poursuivre. Bon, je ne vous demande pas de me faire la danse de la victoire …. mais au moins, ne serait-ce qu'un "oui" vocalisé - ou une gifle bien sentie, ce serait déjà appréciable. Et ensuite, vous aurez le droit de vous reposer tant que vous le voudrez.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyLun 01 Mar 2010, 16:48

LÂCHEZ-MOI !!!

C'est un cri de pure panique qui jaillit des lèvres de la légiste. Un cri qui à lui seul trahissait toute l'ampleur de la terreur qui l'avait saisie à l'instant où Crane l'avait saisie par le poignet. Une terreur brute, aveugle, irrépressible, qui remontait de si loin dans l'inconscient de Jordan qu'elle-même aurait été incapable de dire d'où elle provenait. Une terreur si violente qu'elle la laissa pour un instant sourde et aveugle, incapable de ressentir autre chose que cette main sur son poignet, comme une intolérable brûlure sur sa peau. Elle ne pouvait plus penser de façon cohérente, une succession d'images floues, distordues, et de sons confus et discordants obnubilait son esprit. Un barrage s'était rompu, quelque part, et une foule de souvenirs, de sensations, trop longtemps retenus, affluait d'un seul coup dans sa tête.

C'étaient les quatre princesses et leur cour dévouée et grimaçante, qui faisaient soudain apparition dans son champ de vision et qui, froidement, l'encerclaient ne lui laissant aucune porte de sortie. C'était le terrain de soccer où elle avait fini ligotée, écartelée devant la cage, en sous-vêtements, pendant que l'équipe tirait des penalties. C'était le cours d'anatomie, et les mains sur sa gorge d'un partenaire devenu dingue. C'était le sang, sur ses mains, sur ses bras, sur sa robe... le sang de sa mère, étendue au milieu du salon... C'étaient les yeux de son père, ces yeux à la fois incrédules et accusateurs... ces yeux qui, jusqu'au bout, avaient contenu cette insupportable interrogation... qui n'avaient jamais pu la regarder en face... Non, Max, non... je ne l'ai pas tuée... je te le jure... tu dois me croire, papa, je jure que je ne l'ai pas tuée... Papa... pourquoi tu ne me crois pas ?

Elle se dégagea d'un mouvement brusque, incontrôlé, se découvrant des réserves de force insoupçonnées même d'elle-même pour le repousser. Ce fut la douleur brusque qui lui déchira le bras qui la ramena brutalement à la réalité. Une chute violente, sans parachute, qui la laissa immobile une seconde, les yeux écarquillés, blême, comme un automate soudain débranché. Une larme coula sur sa joue. Elle se laissa retomber sur l'oreiller et s'entendit murmurer :


Je vous en prie... Laissez-moi...

Jordan n'avait jamais supplié personne de sa vie. Même au summum de la terreur, même au paroxysme de la douleur, elle n'avait jamais accepté de supplier qui que ce fût. Mais elle n'en pouvait vraiment plus. Elle se détourna et éclata en sanglots. De ces sanglots que rien ne peut plus arrêter. Qui vous empêchent de respirer tant ils sont violents. Sanglots nerveux que ses derniers efforts pour les retenir ne faisaient qu'amplifier. Elle en était arrivée à ce point de rupture, ce point de fatigue telle que même les plus orgueilleux, las de lutter, finissent par abdiquer leur fierté. Il se passait trop de choses en trop peu de temps. Et Jordan, incapable de continuer à essayer de se maintenir à la surface, était en train de se laisser couler...
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyDim 28 Mar 2010, 17:28

Si Jonathan espérait une réaction, c'était un fait, il fut servi. Le cri de franche panique qui sorti des lèvres de la légiste stoppa net, cependant, tout sentiment de satisfaction. Délicieux ? Non – déplacé. Chaque cri de terreur avait sa sonorité particulière, unique et chacun ayant son attrait particulier. Celui de Jordan fit monter un frisson le long de son échine, un goût amer dans le fond de sa gorge. Il dut se retenir de lui crier de s'arrêter sur le champ, sa prise sur cette dernière se relâchant légèrement tandis qu'il l'observait comme derrière une vitre teintée, son poignet tremblant légèrement sous sa poigne tandis qu'elle était perdue je ne sais où. Quelque part dans son passé, probablement. Jonathan eut un grimace âcre. Il s'agissait toujours du passé, n'est-ce-pas ? Ce passé qu'on enterre soigneusement dans un coin de son esprit comme la preuve d'un homicide, mais qui reste tapi dans l'ombre guettant le moindre faux-pas, encore et encore et encore ...

Dr. Cavanaugh …


Cette dernière ne sembla pas l'entendre - pour sa défense, il réalisa qu'il n'avait pas parlé si fort. Les yeux de cette dernière s'embuèrent de larmes à nouveau, une larme coulant sur sa joue, et Jonathan ne put retenir une rictus ironique à la vue de cette si minuscule, inoffensive goutte de pluie, bien faible révélatrice de la tempête qui faisait rage à l'intérieur. King Lear au milieu des vents, le radeau de la méduse blotti au creux de la vague qui s'apprête à se refermer sur lui ... Aucun de ces scénarios n'avaient de dénouement très réjouissant. S'il était quelque chose qu'il n'était pas préparer à entendre, cependant, c'était une supplication. Cette vision avait quelque chose d'intensément dérangeant. Une hargne familière se frayant un chemin au fond de son estomac, mais c'était contre celui qui l'avait emmuré qu'elle était dirigée. Amusant, en un sens, si l'on considérait qu'il s'agissait de quelque chose qu'il aurait très bien plus faire lui-même. Créatif, efficace et d'une délicieuse cruauté .. Mais tout aussi impardonnable.

Dr. Cavanaugh … Jordan.

Il avait vécu ceci. Lorsque le chiroptère lui avait donné un aperçu de son propre poison. Le souvenir en était encore bien présent, même si cela faisait déjà .. Un an ? Sun siècle ? L'effondrement du mur qui sépare les fantômes de la réalité. Comme lorsque enfant, on entend des créatures ramper aux creux de l'obscurité, sauf que cette fois-ci lorsqu'on allume la lumière les monstres apparaissent dans tout leur éclat, souriant de la pointe de leur crocs acérés. Bonjour, toi. Des semaines, des mois à devoir retrouver son chemin entre deux mondes … Il était bien placé, pourtant, pour savoir que l'on pouvait s'en tirer. Trouver les petites prises, une à une, et s'y accrocher hargneusement. Assurément, cela prenait du temps – un sacré morceau de temps, et il s'agissait de ne jamais lâcher, mais … Celle qu'il avait devant lui en était bel et bien capable, assurément.

Il posa la main à quelques centimètres de la sienne, sans la toucher. Il n'avait pas vraiment idée des raisons qui le poussaient à agir - il n'attendait pas de réponse. Il n'en aurait probablement plus aujourd'hui, pas plus qu'elle ne devait vraiment réaliser le sens de ce qu'elle lui disait – à supposer qu'elle l'entende. On aurait probablement pu lui accrocher un panneau "hors service – réessayez ultérieurement" autour du cou.


Désolé, mais j'ai un quota d'heures à respecter pour toucher mon salaire, et plus de volonté qu'une légiste même aussi bornée que vous - je ne vous laisserai pas.
Revenir en haut Aller en bas
Invité
Invité
avatar



I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down EmptyJeu 29 Avr 2010, 20:06

Jordan ne parvenait plus à s'arrêter de pleurer, au point de peiner à retrouver son souffle. La tempête faisait rage, et plus rien, plus aucun barrage ne pouvait l'empêcher de détruire le fragile équilibre qu'elle avait toujours réussi à préserver jusqu'alors, au prix de contorsions savantes et de farouches blocages. Ballotée au creux de la vague, ce qui lui restait de lucidité savait qu'il ne faudrait pas longtemps avant que la tempête ne la brise et ne l'envoie de par le fond. Et il n'y aurait pas d'Amazing Grace pour la sauver miraculeusement.

Du fond de sa mémoire remontaient des mots latins, des bribes de prières, depuis longtemps enfouies, rejetées.
Ave Maria, Gratia plena, Dominus tecum. Benedicta tu in mulieribus... ce à quoi l'esprit peut se raccrocher, parfois... Mater misericordiae, ora pro nobis, peccatoribus... Priez pour nous... comme si la prière pouvait être d'une quelconque utilité... les vieux automatismes ont la vie dure... on a beau les rejeter, encore et encore... ils reviennent toujours quand on s'y attend le moins... Agnus Dei qui tollis peccata mundi, miserere nobis... Un pieux mensonge... Si Dieu il y avait, il n'avait pas pitié de ses créatures... Dona nobis pacem... Fallait-il qu'elle ait été efficace, cette éducation religieuse, pour qu'elle refasse surface dans un moment pareil !

L'absurdité - l'inanité - de ce à quoi son esprit se raccrochait désespérément la frappa soudain.
Aussi absurde et vain que les sarcasmes et l'ironie dont elle avait tenté de se faire un bouclier - plus encore même. L'ironie supposait un minimum de travail intellectuel. La prière... c'était se remettre entre les mains d'autre chose. Et c'est à cela que Jordan s'aperçut qu'elle avait vraiment lâché prise. Et sa réaction à cette constatation la surprit elle-même.

Elle se mit à rire. Un rire d'abord bas, puis qui enfla et s'envola vers des hauteurs insoupçonnées. Convulsif, inextinguible, hystérique. Démentiel. Elle avait
perdu. Pourquoi continuer à se battre ? N'était-ce pas ridicule ? pathétique ? Elle ne parvenait plus à s'arrêter, au point presque de s'étrangler. Une toux sèche finit par remplacer les éclats de rire alors qu'elle essayait de reprendre son souffle. Elle enfouit alors son visage dans ses mains, prenant de longues inspirations pour, dans un sursaut de volonté rebelle, essayer de reprendre le contrôle de ses nerfs à présent complètement ravagés.

Le calme après la tempête. Ou peut-être seulement l'oeil du cyclone. Jordan l'ignorait. Elle ne s'en souciait pas. Elle ferma les yeux. Un long frisson courut le long de son échine, s'emparant petit à petit de son corps tout entier. Elle était glacée dans chaque membre, une sueur froide imprégnant sa peau, sa nuque, son front, lui déniant jusqu'à l'espoir de jamais se réchauffer. Les muscles douloureux dans leurs moindres fibres, l'estomac tordu par une main de fer, un goût amer dans la bouche et la certitude que si elle faisait le moindre geste, elle perdrait le peu de dignité qu'elle espérait avoir sauvegardé... Voilà tout ce dont elle était consciente.

Lentement, avec d'infinies précautions, elle reposa ses mains sur le matelas, de chaque côté de son corps naufragé et laissa échapper un soupir. Elle rouvrit les yeux très doucement et tourna la tête. Crane était toujours là. A voix très basse, elle murmura :


Je suis désolée.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





I won't let you bring me down Empty
MessageSujet: Re: I won't let you bring me down   I won't let you bring me down Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
I won't let you bring me down
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
109, rue du Septième Art :: Hors-Jeu :: Le cimetière des RP-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser