Emménagement

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A deux doigts de se taper la tête contre le mur, Mason contemplait le petit bouton d'appel, qui clignotait avec une régularité exemplaire depuis une bonne dizaine de minutes, avec un désespoir grandissant. Est-ce qu'un ascenseur était supposé mettre autant de temps à arriver ? Grâce à la petite miss qui lui avait indiqué le chemin, il avait pu arriver sans trop d'encombres jusqu'à l'immeuble où il devait loger. La journée commençait sous de relativement bon auspices … Il n'allait pas laisser un ascenseur la gâcher, non ? … Apparemment si, lui répondit l'irritant bouton d'appel. Mason jeta un coup d'oeil à la volée d'escalier non loin, avant de se décider à y traîner son volumineux sac de voyage.

Bon, ça réduit au moins les risques de s'écraser au sol parce que les câbles auront lâché ...

Appartemment 406, situé au quatrième étage selon toute logique. Un petit élan du coeur le poussa à souhaiter que ce dernier serait meublé. A plus forte raison à la lumière du fait qu'il n'avait ramené en tout et pour tout que les affaires capable de tenir dans un sac de voyage. Inutile de s'offrir les frais d'un déménagement quand il pourrait récupérer sur place ce qu'il lui faudrait dans les appartements de ses futurs "clients". C'était la première fois qu'il prenait un logement qui n'avait pas appartenu à un défunt, d'ailleurs. Légalement. Du moins, aussi légalement que pouvait le faire quelqu'un qui n'avait pas d'existence "officielle" à proprement parler ... C'était d'ailleurs une des raisons principales qui l'avaient conduit jusqu'ici : ils n'étaient pas trop regardant, pas trop intrusifs, et il avait pu signer le bail sans difficultés. Il s'était promis de prendre un nouveau départ en arrivant dans cette ville, après tout. Quelque chose de plus stable que ce qu'il avait eu juste à présent, histoire de tenter, pour une fois, de ne pas tout finir en gâchis intégral ...

L'idée d'avoir un colocataire ne l'enchantait guère, à plus forte raison lorsqu'il s'agissait d'un mortel. La vie en communauté entre faucheurs était bien suffisamment laborieuse, sans qu'il ait à se demander s'il aurait à se charger de récupérer l'âme de son colocataire à la fin du petit déjeuner, parce qu'il aurait glissé en prenant sa douche. Pas de lien affectif avec les mortels, n'avait cessé de leur rabâcher Rubes. Mais Rubes l'avait renvoyé. Alors son avis, il pouvait se le plier gentiment au fond de son tiroir à chaussette en ce qui le concernait - sans compter qu'une moitié de loyer était déjà amplement suffisante pour son budget. Et puis - sa colocataire allait être une jolie jeune fille, il le sentait. Il pouvait déjà l'imaginer, d'ailleurs … Petite, rousse, un peu timide mais avec une voix délicieuse. Mason rajusta son col d'une main, laissant de l'autre l'épais sac de voyage s'écraser avec un bruit mat sur le palier. La main sur la poignée, il avait entamé de la baisser quand il arrêta son mouvement. D'une, la porte était peut-être fermée, et bien qu'il ait la clé, il avait des chances d'être accueilli par une de ces énervantes petites chaines retenant la porte d'entrée … Et de deux, pour une toute première impression il pouvait peut-être envisager de faire l'effort de ne pas se montrer trop intrusif. Juste au cas où. Après une seconde, Mason leva le poing pour frapper quatre coups.

Service d'étage !

D'accord, c'était probablement relativement mauvais. Mais il n'avait pas pu résister.

Invité

Les rideaux mal tirés laissaient passer une vague lumière grisâtre sur un appartement qui réussissait le tour de force d'être à la fois vide et en bordel. Un canapé un peu défoncé, deux fauteuils qui ne valaient guère mieux, une table basse en piètre état sur laquelle trônaient un cendrier débordant de cendres et de mégots, un verre à whisky sale, une bouteille de Bushmills au trois-quarts entamée et un mug de café froid ; une grosse télé, et par terre, des fringues abandonnées et une paire de baskets échouées ; sur le comptoir de la cuisine, deux trois dossiers ouverts s'effeuillaient lamentablement entre des reliefs de canard laqué et de porc sauce aigre-douce dont les cartons du traiteur avaient été abandonnés au profit d'une part de pizza. La pièce avait un côté "caricature de tanière de célibataire endurci infoutu de se démerder seul", voyez le genre ? Ben ouais, hein, on ne peut pas tout faire, dans la vie. Et puis quand c'est maman qui s'est chargée de votre linge, de votre bouffe et de votre ménage jusqu'à vos trente-cinq ans, en même temps, faut pas s'attendre à des miracles, hein...

Affalé à plat ventre sur son lit, le nez enfoui dans l'oreiller pour se protéger de la lumière, David en écrasait ferme. Le cadavre d'une bouteille gisait au pied de son lit, ainsi qu'un cendrier qui vomissait cendres et mégots sur une feuille de papier. Il était rentré vers cinq heures du matin, après s'être fait mettre à la porte du ber, puis du club de strip-tease où il avait passé la soirée. Il avait fini par retrouver la route de l'immeuble on se demande encore comment et s'était en quelque sorte achevé au whiskey. Après tout il était en congé et si ça ne plaisait pas aux gens, ça ne lui faisait ni chaud ni froid.

Autant dire qu'il dégringola littéralement du lit quand il fut tiré du sommeil en sursaut par quatre coups frappés à la porte de l'appartement. Emergeant difficilement, la tête dans le brouillard, les cheveux ayant des velléités de pousser à l'envers, il s'assit par terre, le temps de discerner où était le haut et où était le bas, et attrapa une cigarette qu'il alluma avant de se relever, s'appuyant d'une main au mur. Il réussit à arriver à la porte sans se flanquer par terre, et eut un rictus. Service d'étage, hein ? Un p'tit rigolo... Il jeta un oeil par le judas, puis ouvrit la porte sur la longueur de la chaine.

C'pourquoi ?

Invité

Mason jeta un regard mauvais à la chaîne qui s'amusait à le narguer, comme si elle avait tout juste deviné ses dernières pensées. Il détestait plus que tout au monde ces petits engins. Essayez de vous introduire discrètement dans l'appartement de quelqu'un avec ça – il lui fallait toujours bien cinq bonnes minutes pour s'en occuper, cliquetis à la clef. On faisait mieux. Second point qui différait de ce qu'il avait espéré : le coloc. Tant le visage que la voix qui lui faisaient face n'étaient décidément, résolument pas féminines. Et à moins que la carotte ne rende orange à défaut d'aimable par les temps qui courent, ce dernier ne semblait pas avoir fait d'escale dans le rayon fruits et légumes de son supermarché depuis le siècle dernier. Menfin. Pas pire que Rubes dans l'un de ses bons jours. Mason s'éclaircit la gorge pour faire les présentations.

Mason. Mason … Il grimaça, avant de rajuster un sourire plus convaincant. Juste Mason. J'habite ici. Et puisque tu as – ouvert la porte, tout ça, j'en déduis que tu es mon colocataire. Ou un voleur très culotté. Ou distrait. Ou le petit ami de ma colocataire ?

Il essaya de ne pas laisser planer une lueur d'espoir trop évidente à la fin de la dernière question. Un coup d'œil derrière l'épaule de l'homme, pourtant, lui retira bien vite ses dernières illusions. Nope. Définitivement l'appartement d'un célibataire. Et d'un célibataire avec tout ce qu'il faut de testostérone. Ou alors il s'agissait d'un sdf qui avait piqué l'appartement d'un mort pour avoir le loyer gratis, et que le bordel ambiant ne soit qu'un moyen ingénieux de dissimuler le cadavre – ce qui expliquerait au moins l'odeur. Eh, mais la vue n'était pas si mal, tout bien pesée, constata-t-il en se penchant pour mieux y voir. Un peu vide à son goût, mais ça s'arrangerait quand il aurait récupéré quelques affaires de son côté. Se penchant encore un peu plus – ce n'était pas un carton de pizza, là dans le coin ? Elle n'avait pas l'air terminée … - il fut bloqué dans son mouvement par la chaîne – sa chaîne, qui lui faisait décidément une petite crise d'autorité. Faisant le serment d'apprendre à se servir d'un tournevis sans s'ouvrir la main puis lui régler son compte à la première sortie de son colocataire, il redirigea finalement son regard sur ce dernier.

Et si tu m'ouvrais ? Ça m'arrangerait moyennement de devoir crocheter la porte de mon propre appartement.

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