Fatigué mais content

Trois nuits. Trois nuits sans dormir.
Ses collègues l'arrêtaient sur son passage dans les couloirs en lui disant :"Tu en fais trop, Zozo, tu devrais vraiment t'arrêter un peu." Il répondait :"S'arrêter ? plutôt mourir !", même si les cernes sous ses yeux s'accentuaient un peu plus chaque fois.

Il était vrai qu'en ce moment, tout s'enchainait et s'accélérait, sans qu'il ne rende pas compte qu'il ne prenait même plus le temps de manger ou de dormir.
Ses cours à l'Académie militaire, où il expliquait comment réparer du matériel électronique d'usage et assurer une maintenance de qualité.
Le suivi de la construction de sa base lunaire, où il se rendait deux fois par semaine pour constater l'avancée des travaux. Et l'embauche d'un spécialiste qui serait à même de le protéger en cas de problème sur place.
Et la raison de ses insomnies. EVE. Ou plutôt la façon de déplacer son matériel d'étude depuis son laboratoire à l'académie jusqu'à la salle du cours du robot venu du futur. Tout cela sans qu'il ne commette de dégâts ou fasse des travaux sans autorisation. EVE , inconsciemment, le forçait à travailler sans empiéter sur la vie des autres. Quand on connait le débordant caractère du personnage, il était certain que cela n'était pas une partie de plaisir. Mais pour le moment, il s'y tenait.

Il avait songé à plusieurs choses pour ça : mettre le labo sur des roues et le faire passer par un souterrain via des rails. Problème : il n'aurait jamais eu l'autorisation de creuser. Déjà que lorsque la section archéologie avait voulu faire des fouilles dans le campus, cela avait fait scandale.. Il avait pensé à concentrer son laboratoire dans une petite valise, sorte d'espace de travail miniature. Mais la patience de Zorglub risquait trop d'être mise à rude épreuve. C'est alors qu'il avait conçu autre chose, de plus gros. Le larobot. Il avait hâte de le montrer à EVE, même si c'était sûr qu'il était nettement moins finalisé que la charmante automate, et même s'il craignait qu'elle dise qu'il asservissait un robot pour lui rendre un service.

En attendant, il s'accordait juste le luxe d'aller en salle des professeurs, après un cours houleux où un crétin d'élève avait tenté de lancer un débat et s'était pris en face la logique de son professeur. Quand on veut mettre les pieds dans le plat, mieux vaut avoir prévu des semelles adhérentes. Zorglub choisit une table vide, s'installa dans une confortable chauffeuse de couleur beige, croisa ses longues jambes avant d'avaler cul sec une tasse de café chaude. Il comptait vraiment sur cette boisson pour lui donner le courage de tenir pour son rendez-vous de l'après midi avec EVE.

Ah, ça, il devait vraiment s'y attendre. Le coup du "vous devriez aller dormir". Il soupira en levant les yeux au ciel. Il n'avait cependant aucune intention de l'écouter, et il ferait ce qu'il avait à faire en ce jour. Il avait trop travaillé pour devoir attendre 24 heures supplémentaires. Mais attention, pas de précipitation avec EVE. Il devait la ménager : elle n'avait pas vraiment l'habitude de lui. Peut-être que s'il arrivait à capter sa curiosité, ça serait dans la poche.

- Je ne voulais pas travailler avec vous, cet après-midi. Car j'étais sûr que vous feriez une remarque sur mon manque de sommeil. Je tiens tout de même à éclaircir une chose. Depuis j'invente, j'ai toujours passé des nuits blanches et cela ne m'a pas porté préjudice.

....Le narrateur de cette histoire pense que si on y regardait de plus près, on pourrait facilement émettre un doute...

- Néanmoins, je comprends votre argument et il est totalement légitime. Ce ne serait vraiment pas prudent de faire des expériences. Et je m'en tiendrais là tant que je n'aurais pas dormi au moins une nuit complète.

Zorglub choisissant le chemin de la raison ? Hm....non, pas vraiment.
Il l'observait et était sûre qu'elle l'écoutait, malgré qu'elle fasse autre chose en parallèle comme regarder sa boite de courrier, le panneau en liège où se trouvaient toutes les nouvelles de l'établissement. Enfin elle se retourna vers lui. Elle avait cet éternel regard bienveillant que l'on retrouve chez une mère ou une grande soeur. Plus le temps passait, plus Zorglub la connaissait, plus il avait des difficultés à la voir comme un robot.
Il respira un bon coup et croisa les doigts en espérant que son stratagème fonctionne.

- Mais je vous demande juste ...Un moment...J'ai trouvé le moyen de déplacer l'ensemble de mon matériel de recherche depuis mon laboratoire jusqu'à votre salle de cours, j'y travaille depuis trois jours ! J'aimerais vraiment vous le montrer et savoir ce que vous en pensez ! "Il" est juste à l'extérieur de la salle des professeurs, cela ne durera pas.

Il avait tendu la perche. Reste à savoir si elle allait la saisir. Et s'il rajoutait un "s'il vous plait !" plaintif ? Non, tout de même, il ne fallait pas en rajouter trop. Elle risquait de trouver cela suspect. Et elle aurait raison.
A l'arrière de la salle des enseignants, se trouvait le robot-labo sous une bâche. Avec un peu de chance, dans l'excitation de ce moment, il retrouverait une forme olympique et pourrait se voir toute l'après-midi ! Même s'il avait encore envie d'un bon café.

La première remarque d'EVE fut un petit bruit de découverte. Elle se rapprochait de l'être de métal afin de mieux le détailler. Zorglub avait toujours la même appréhension de savoir ce qu'elle pensait. Il aurait donné cher pour connaitre son opinion secrète sur le sujet. Pourvu que cela ne l'ait pas vexée. C'était plus un hommage à elle, c'est pour cela qu'il avait pris tant de temps à travailler dessus. Ce genre de comportement chez lui était rare, il avait une affection débordante pour le petit robot au blanc immaculé. Mais il n'osait pas lui dire. Pas toujours évident de déclarer ce genre de chose.

- J'avoue que d'habitude je suis plutôt doué pour donner des noms à mes inventions.

Oui...certes...Imagination toujours orientée Z, composée des lettres de son nom. Pour une fois qu'il avait tenté quelque chose sans, ce n'était pas une réussite. Ce n'était pas très harmonieux, mais il n'avait pas vraiment eu d'idée.

- Je vais l'allumer. Comme je vous l'ai dit, je ne suis pas très doué en robotique, c'est à vrai dire le premier que je conçois.

Jusqu'à présent, il avait en effet créé des ordinateurs, des moyens de transports aériens, spatiaux, terriens, marins. Il avait inventé une onde. Mais pour le moment, les robots, dans la même veine d'EVE, c'est-à-dire avec un esprit, il n'avait jamais tenté. Sa réussite était mitigée. Esthétiquement, c'était pas trop mal. L'intelligence artificielle se contentait de peu. Et pourtant, il avait essayé. Mais quelque chose lui échappait. Quant à arriver à faire un cerveau comme celui de EVE, encore au delà de l'intelligence artificielle, ce n'était pas encore la peine d'y songer.

- Concernant ce qu'on appelle l'I.A., j'ai beau chercher, je ne comprends pas d'où cela peut venir. Il va me falloir de nombreux tests pour y parvenir. Ce robot sait parler, certes, mais sa conversation est assez limitée ; on dirait plus un ordinateur portable qui parle d'un robot de votre stature. Il tient plus de la caricature des robots de cinema de science-fiction des années d'après-guerre.

Zorglub était peut-être bizarre (sûrement même), assez imbu de sa personne autrefois, il avait fait des progrès considérables. Il avait appris l'humilité et même si ce n'était pas pour autant une habitude, c'était tout de même une belle avancée.
Il sortit son nouveau téléphone à coque noire, et appuya juste sur un bouton pour démarrer le robot.
Celui ici ouvrit ses yeux noirs et fixa les deux personnes devant lui. D'une voix assez hâchée, il s'adressa à EVE en premier et fit une révérence (dans la mesure du possible par ses membres).

- Bon-Jour E.V.E. BEAU TEMPS AU-JOUR-D'HUI !

Zorglub se tourna vers EVE.

- Je peux reprogrammer son nom. Est-ce que vous auriez une idée pour quelque chose de plus harmonieux ?

Zorglub regardait le robot avec fierté mais le regard qu'EVE venait de lui porter était moins enthousiasmant. Pourtant, elle n'avait pas montré grand chose. Non pas qu'EVE n'était pas expressive, loin de là. Mais parce qu'il commençait à saisir comment elle réfléchissait, et qu'il comprenait ce sentiment de solitude qu'elle devait ressentir. Il s'était montré si imbu de lui-même en montrant le robot qu'il n'avait même pas pensé une seule seconde que cela pourrait affecter EVE. Il était temps pour lui d'abandonner son orgueil une minute.

- L'humilité n'est pas une de mes qualités premières, hélas. Elle est même le contraire de ma personne. Elle consiste à comprendre ce qu'on est soi-même avec justesse, sans exagération, ni complaisance. D'accepter ce qu'on est et la place que l'on occupe dans le monde. C'est-à-dire pas grand chose, en somme. Rien de plus que de la terre qui s’effrite dans les mains. Pourtant, je pars toujours à la recherche de quelque chose qui puisse faire de moi plus qu'un grain de poussière. Pendant longtemps, j'ai cru que c'était pour mon bien-être personnel, ayant une grande estime de moi. Mais au fur et à mesure que j'avance, je comprends que c'est plus par reconnaissance auprès d'autrui. Je n'aurais jamais dû créer un robot qui parle comme cela, ni m'en vanter. Par vanité, je voulais absolument faire un robot qui puisse vous plaire. Au lieu de cela, je vous ai confrontée à votre solitude d'être le seul robot doté d'intelligence naturelle. Attitude totalement aveugle de ma part, j'ai tellement peur de perdre votre amitié, que je pensais pouvoir vous faire plaisir avec cette création. Ce que je peux être bête ! C'est vraiment la preuve d'égocentrisme que je n'ai même pas cherché à savoir ce que vous voulez réellement, dans votre existence. C'est pourquoi il va falloir que j'agisse avec plus de simplicité. Il faut que je calme mes emportements et laisser venir les choses. Ne pas vouloir tout diriger. Car votre présence ici prouve finalement que nous ne sommes pas grand chose face à l'immensité de la vie ; et qu'une entité inconnue peut bouleverser vos croyances, vos espoirs et vos sentiments en jouant avec votre destin. Et lutter contre cela est inutile ; nous ne sommes finalement qu'une poussière dans le temps et l'espace.

Tandis qu'il sortait ce monologue, les sentiments du scientifique étaient embrouillés. Il n'avait pas tout à fait compris pourquoi il avait sorti ce discours aussi brusquement. Besoin de se décharger, sûrement. Un peu abasourdi, il sortit de son état second et afficha un petit sourire.


- Je vais l'appeler Bio-Néobot.

Allez savoir pourquoi Zorglub avait sorti cette tirade. Spontanée était le mot le plus juste. Un vrai impromptu, le tact en moins. N'importe qui ne peut s'improviser orateur et garder le contrôle de ses propos. Il avait plongé EVE dans un certain malaise, sans vraiment l'avoir voulu. Il regretta mais c'était trop tard. Elle était persuadé qu'il lui avait adressé un reproche. Ils avaient peur de se faire souffrir mutuellement. Il écouta attentivement la voix claire d'EVE mais étonnement, il fit le choix de ne pas répondre immédiatement, laissant au robot l'opportunité de parler.
Ils se connaissaient depuis peu de temps, mais à chaque fois qu'il lui avait donné une occasion de parler d'elle, EVE s'était dérobée. Par respect du continuum, certes, mais pas seulement. Elle gardait pour elle son passé comme une chose précieuse, un trésor. Elle avait une vie là-bas, dans l'avenir, qu'elle ne pourrait oublier. Loin de ce qu'elle aimait. Loin de ses habitudes. Il n'y avait rien de plus difficile que d'être arraché ainsi à sa réalité ; c'était comme mourir, en somme. Zorglub avait relié d'abord le silence d'EVE sur son existence à son côté sauvage, insaisissable. Mais finalement, cette nouvelle théorie était la plus juste ; c'était la souffrance et la solitude qui dictaient sa réserve.

Ainsi donc, en arrivant ici, "on" avait séparé le pauvre robot de celui qu'elle aimait. Wally.
Pendant un cours instant, il fit une confusion avec Willy. Willy Wonka de toute façon était tellement bizarre qu'il aurait aussi bien pu être un robot, un extra-terrestre ou un Schtroumpf.
Il chassa vite cette pensée parasite de son esprit : il avait bien entendu Wally. Les robots pouvaient donc, dans l'avenir, tomber amoureux. Ce magnifique sentiment n'était plus l'exclusivité des humains ; ce qui hissait légitimement les robots au rang d'être vivant. Depuis sa rencontre avec EVE, de toute façon, c'était une chose évidente pour Zorglub. Voila qui ajoutait juste de l'eau à son moulin. En revanche, cela serait chose difficile à faire accepter aux esprits béotiens et fermés, qui ne voyaient dans le robot qu'un être couteux et futiles; Dans quelques siècles, ils devront vite changer d'avis.

La confidence d'EVE, si intime, toucha profondément le chercheur qui ne pouvait que comprendre. Lui-même avait été confronté à la solitude et à la disparition de l'objet de ses sentiments. Le soupir qui échappa au robot blanc ne fit qu'accentuer l'empathie qu'il ressentait à son égard. Il s'approcha d'EVE et s'arrangea pour se mettre à sa hauteur (comme elle planait, c'était moins inconfortable que s'il devait se plier en deux).

- Je suis vraiment navré d'entendre une telle chose, EVE. J'espère juste trouver un jour un moyen sûr de pouvoir vous renvoyer dans le futur afin que vous puissiez retrouver l'objet de vos sentiments. Sachez, en attendant, et même si c'est une fort maigre consolation, que je serais présent à vos côtés, quoiqu'il arrive. Je repose beaucoup d'espoirs personnels sur vous, peut-être trop; mais vous représentez tellement que je ferais de mon mieux pour vous aider et alléger votre douleur.

Enterré, le Dictateur. Si ses anciens antagonistes avaient entendu ces paroles, ils n'auraient jamais cru que c'était bien Zorglub qui les avait prononcé. Il suffit toujours de bonnes rencontres (ou de mauvaises) pour influencer profondément le destin.

Zorglub n'avait vraiment rien à envier à Gaston Lagaffe (ils ne s'étaient jamais rencontrés ; cependant les répliques de Fantasio au sujet du garçon de bureau dans ses conversations étaient assez explicites). Même quand le savant ne disait rien de particulier, parlant de façon neutre, VLAN !!!! voila qu'il commettait encore une bêtise...Si c'est pas malheureux d'être aussi malchanceux.
Au départ, il n'avait pas vraiment compris pourquoi EVE était montée sur ses grands chevaux, jusqu'à ce qu'elle s'explique. Grosse panique de l'interlocuteur qui se chargea immédiatement de corriger ses paroles pour éviter tout malentendu. Ce n'était que quiproquo et question lexicale ; Il tenait pourtant trop à EVE pour qu'elle se détourne de lui à cause d'une maladresse. Le visage empourpré et les mains parlant encore plus qu'un méditerranéen ayant abusé de muscat et de pastis, il se hâta de remettre les choses à plat.

- Non EVE, ce n'est pas du tout ce que je voulais dire ! Dire de quelqu'un "qu'il est l'objet de ses sentiments," ce n'est qu'une expression linguistique ! Je ne dis pas du tout que Wally est un objet, ce n'est pas ça ! C'est comme si j'avais dit "le sujet de vos sentiments". La personne, en quelque sorte. Au contraire, EVE, je suis loin de vous considérer, vous, et Wally, vu ce que vous m'avez dit à l'instant, comme des objets et encore moins comme des robots. Vous êtes nettement plus humains que la plupart des êtres qui vivent sur cette terre.

"A commencer par moi-même", pensa-t-il. Il ajouta en poussant un soupir et en se tapant le front sans douceur.

- Je suis vraiment le Génie de la Gaffe....

Il fit une pause avant d'oser enfin regarder EVE.

- Vous êtes triste et je ne peux peut-être pas comprendre ce que vous ressentez.

Oh que si ! Et plutôt deux fois qu'une. Mais autant rester humble, pas vrai ?

- Vous êtes loin de celui que vous aimez et qui, selon vos dires, vous a beaucoup apporté. Et cette blessure qui est la vôtre ne se refermera que quand vous l'aurez retrouvé. Vous devez vous sentir d'autant plus seule que le monde d'ici n'est pas adapté à vous. Les enfants qui se sont enfuis de peur devant vous...le retard technologique certain sur votre époque et l'appréhension des gens à votre égard. Ca doit être terrible et vous souffrez énormément, j'en suis sûr, depuis que vous êtes ici. rien ne pourra remplacer votre Wally. Néanmoins, je mettrais ma main au feu que vous allez trouver des personnes ici qui vont vous permettre d'espérer, de continuer de vivre et d'avancer, jusqu'à ce que vous le retrouviez. vous pouvez faire de grandes choses ici ! Et vous ne serez jamais seule car vous avez beaucoup à apporter. Très égoïstement, une fois n'est pas coutume, je vais parler de moi. Cela ne fait que quelques jours que nous nous connaissons et pourtant vous m'avez profondément bouleversé comme jamais cela avait été le cas auparavant. Même si j'ai changé par rapport à mon passé et que je m'oriente vers la philanthropie plutôt que ma mégalomanie, depuis que vous êtes là, je suis d'autant plus motivé pour faire de bonnes choses, alors que sans vous je serais sûrement retombé dans mes anciens travers.

Zorglub se sentit soulagée lorsqu'il vit EVE se détendre. Ouffffff....Il ne manquerait plus qu'elle se méprenne sur les paroles maladroites du scientifique. En tout cas, ses dernières phrases avaient profondément touché le robot blanc, même si elle ne comprenait pas les tenants et les aboutissants de telles remarques. Un peu gêné, son visage légèrement empourpré, il retrouva le calme apparent qu'il avait perdu lors de cette explication qui ressemblait beaucoup à une confession.

- Nous avons déjà parlé ensemble de mon passé. J'étais un dictateur qui souhaitait que tous les regards se tournent vers lui. Tout ce que je faisais était profondément égoïste. Pour me faire remarquer, certes, pour me sentir moins seul, sûrement. Je dois reconnaître que ce n'est pas la meilleure méthode qu'il soit. Après mes divers coups d'éclats, j'ai été aidé par un de mes amis, qui avait confiance en moi et ma parole. Cependant, j'ai failli repartir en vrille peu de temps plus tard, ayant eu le projet de faire de Cuba une prison un peu particulière, mais on m'en a empêché, grâce au ciel. C'est uniquement grâce à cet ami que je n'ai pas replongé. En arrivant ici, je voulais me décider à commencer une nouvelle vie, avoir un nouvel élan, de nombreux projets à réaliser. Je devais me débrouiller seul. Hélas, je comprends quelque chose à mon sujet ; sans quiconque pour me faire remarquer que je me trompe ou que je risque de déraper, je pars de travers et retrouve mes anciennes ambitions ; je suis sûr que si je n'avais pas fait votre rencontre, EVE, je sais que j'aurais failli un jour ou l'autre. Sauf que vous me permettez justement de faire attention à ce que je fais. J'ai envie de faire des choses positives, je veux voir de la joie dans vos yeux plutôt que de l'affliction.

Il était particulièrement sincère. Malgré son âge, son métier, sa stature, Zorglub était incapable de vivre seul. Il était un grand enfant ; capable du meilleur comme du pire, ambivalent et versatile à un rythme assez effrayant. Il avait besoin pour maintenir le bon côté de sa personnalité d'un garde-fou. Pouvait-on dire que Zorglub utilisait EVE à ses fins ? Non, ce n'était pas le cas. Zorglub n'était pas un manipulateur de talent, il était même trop honnête pour cacher ses propres méfaits. Ses intentions étaient claires : EVE était celle qui l'accrochait à la lumière, qui lui donnait la possibilité de se dépasser pas pour lui même, mais pour les autres. Parce qu'il voulait qu'elle soit contente, il voulait l'aider à retrouver ce qui était important pour elle, parce qu'elle était seule comme lui et avait du mal à trouver sa place.

- Il n'y a rien de pire que de voir dans les yeux des gens la colère ou le dégoût que vous pouvez leur inspirer.

Cela a pourtant été le cas par le passé. S'il avait eu droit à la mansuétude de Pacôme, ce n'avait pas été le cas chez le groom et son ami le grand nerveux. Alors qu'ils savaient pertinemment que les querelles étaient terminées et la hache de guerre enterrée, ils l'avaient accueilli avec méfiance, avec peur aussi. Lorsqu'on est un être imbu de sa personne et sans scrupule, alors oui, ce genre d'attitude peut faire plaisir. Zorglub est imbu de sa personne, mais des scrupules, il peut en avoir, et il s'est senti blessé, même s'il n'en montra rien, par le scepticisme des deux journalistes.