L'As du Plumeau. [PV Jen / Sebastian Michaelis]

Cette rue-là... C'était toujours la même.
La première fois qu'elle y avait mis les pieds, il pleuvait. Elle achevait alors tout juste un long voyage à travers d'étranges mondes, pour en commencer un nouveau sous les trombes d'eau qui la glaçaient, sans le savoir encore.
Et aujourd'hui, de la même façon, tandis qu'elle revenait d'un road trip comme d'une parenthèse dans la nouvelle vie qui s'offrait à elle, elle offrait son visage aux larmes d'un ciel plus que morne.

Jen détestait habituellement le mauvais temps. Elle se sentait une fille du soleil, même si elle n'avait jamais vraiment eu l'occasion de prendre des vacances pour en devenir une. Pourtant, cette fois-ci, le chagrin gris des cieux ne lui était pas si désagréable. Elle avait l'impression, bizarrement, que quelqu'un ou quelque chose, dans ce vaste monde, compatissait un peu avec la part d'elle-même qui en avait besoin. Elle n'avait plus envie de pleurer. Seule une douce mélancolie l'habitait, alors qu'elle regardait partir sans vraiment y penser le bus qui l'avait ramenée ici.
Rue du Septième Art. Son nouveau chez-elle.

Elle entra dans le cybercafé d'en face avant d'être vraiment trempée.

Au bout d'une petite heure, elle en ressortit et fit le tour des commerces environnants sans avoir l'intention d'acheter quoi que ce soit d'autre qu'un peu de nourriture d'appoint, juste histoire de s'imprégner de nouveau de l'ambiance du coin. Elle revit ses drôles d'habitants, et le sourire lui vint alors qu'elle renouait avec leurs petites ou grandes bizarreries : ces femmes en robes à tournure, ces êtres tout droit sortis de comptes de fées, ces personnages dignes de dessins animés, et ces autres gens si semblables à elle qu'elle imaginait pourtant si différents, tout ce beau monde réuni dans une mosaïque d'histoires plus étranges les unes que les autres.
D'après les souvenirs qu'elle gardait de ses réserves sous vide, restées au n°501 de l'immeuble qu'elle s'apprêtait à rejoindre, elle fit de brèves emplettes, sans bien sûr manquer de se prémunir contre toute irruption d'un Logan assoiffé (sait-on jamais) grâce à un pack de bières triples. Ça pouvait servir pour tout le monde, de toute façon, et à elle en premier lieu – l'idée d'accueillir Mister Howling Howlett n'était en fait qu'un prétexte devant sa résolution de moins boire. Les soirées New Yorkaises avaient été longues.

Pressons un peu la commande foreward, et nous voici arrivés devant la porte du 501 en compagnie d'une Jen sortant tout juste de l'ascenseur, bagages, courrier et sac de courses en main, la tête pleine d'envies culinaires, musicales et littéraire, avec l'image fixe d'un bon gros canapé campée en plein milieu. Posant tout cela devant sa porte, elle sortit sa clé d'une de ses poches, et sans même se douter de ce qui l'attendait derrière, elle ouvrit.
Et là... Ce fut le drame.

Une violente odeur de renfermé l'assaillit avec hargne, alors même que ses yeux ne faisaient que se poser sur l'intérieur absolument intact de l'appartement, où les quelques objets qu'elle n'avait pas eu le temps de ranger avant de partir étaient restés exactement à la même place, dans le même sens, et elle jurait que si elle avait pris les mesures, la configuration de l'intérieur aurait été la même au millimètre près. Dans la faible lumière qui perçait à travers les rideaux, on pouvait voir la poussière paressant sur les surfaces, ou dansant impunément dans l'air engourdi.
Jen en laissa tomber sa clé.
Quand elle était partie en juin, elle avait laissé un mot à la conciergerie afin de communiquer ses coordonnées pour être jointe si problème il y avait. Elle avait aussi demandé à ce que quelqu'un passe pour aérer aussi souvent que possible, pour vérifier d'éventuels dégâts des eaux et autres déconvenues également. Des choses qu'elle avait toujours considérées comme normales, parce que le concierge de l'immeuble où elle avait habité « autrefois » le faisait systématiquement, proposant même ses services pour le ménage. Elle n'en demandait pas tant, mais là...
Là c'était quand même un peu la fête du slip.

Ramassant sa clé mais oubliant un peu son bazar sur le pallier, elle se dépêcha d'aller ouvrir les fenêtres comme s'il était question de secourir une personne en difficulté respiratoire. Le nuage de poussière qu'elle souleva la fit bruyamment éternuer, un semi-cri dans lequel elle exprimait en fait autant l'effet de la saleté sur ses pauvres narines que l'instable mélange d'agacement et de frustration qui l'habitait. Home sweet home, c'était vraiment pas gagné ici.

Ce n'est qu'après avoir ouvert tout en grand, fenêtres et portes, qu'elle se souvint brusquement qu'elle avait laissé des choses encombrantes devant sa porte, au moment, en fait, où elle sentit la présence de quelqu'un à cet endroit.

La voix grave, élégante et posée du visiteur lui parvint alors qu'elle venait tout juste de tomber nez-à-nez avec son image dans l'encadrement de la porte d'entrée, elle-même se trouvant un peu plus loin à l'intérieur et n'osant plus bouger pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas.

La droiture de la posture, le raffinement évident des manières et, plus simplement, le balais dans la main de l'inconnu laissaient croire qu'il n'était pas la pour mille raisons : manifestement, il avait fallu plusieurs mois pour que quelqu'un se soucie de la requête que la jeune femme avait émise en partant, et ce singulier personnage en incarnait la réponse.
Jusque là, rien très extraordinaire à propos de lui, si ce n'était son air d'un autre temps - et encore eut-il fallu que Jennifer n'habitât pas un immeuble, une ville même, où ce type de surprises n'en était en fait plus vraiment. Pourtant, les secondes passant, elle ne parvenait pas à décrocher son regard des yeux de l'individu qui demeurait statique, un étrange sentiment se cristallisant peu à peu en son esprit.

Se rendant compte que son obstination muette à détailler les iris érubescents de cet homme dont la seule présence la troublait, elle s'approcha d'un pas vaguement hésitant, quelque peu mécanique, en sa direction.

- ... Oui, c'est moi.

Laconique entrée en matière doublant une attitude qui devait paraître saugrenue. Elle s'en rendait compte mais, toujours, ce même détail la gênait. Quelque chose de ténu qui se renforçait à mesure qu'elle réduisait la distance entre eux, mêlant d'inégales et changeantes impressions de méfiance, de fascination, mais aussi de familiarité. Or, autant les deux premières pouvaient se justifier par la singulière allure du personnage, autant la troisième n'avait pas lieu d'être... Du moins, c'était ce qu'il semblait à la jeune femme, dont le sang était mêlé : mi-humaine, mi-démone, elle n'avait pris connaissance de quelques aspects de ces choses occultes que depuis trop peu de temps.

Lorsque l'instinct lui ordonna de rompre son précautionneux élan vers l'inconnu, elle s'immobilisa, un tic nerveux l'amenant à se frotter légèrement un poignet, là où elle aurait dû sentir l'une des fixations de ses bracelets canalisateurs de pouvoir polymorphique. Fixation absente, puisqu'elle les avait laissés dans un de ses sacs...

- Hum... Et vous êtes... ?

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