L'alcool, l'aspirine de l'âme [Libre aux bien portants]

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"J'ai toujours pensé que les gens bien portants sont en réalité des malades qui s'ignorent..."

Il y avait des siècles, non des décennies qu'il n'avait pas posé l'empreinte de son pied dans un bar. Il n'avait guère eu l'occasion d'y pénétrer il faut dire. Oublié de tous sous quelques tonnes de décombres - autrefois le parlement anglais si je ne m'abuse - n'était certainement pas la meilleure occasion pour s'enfoncer dans les folies de l'alcool.
Mais à présent que notre dandy était de nouveau en pleine possession de ses moyens, il ne se priva pas de goûter à son vice personnel. Je n'ai jamais osé affirmer qu'il était un adepte des grands crus. Ce...ô fameux terroriste des temps modernes, dernièrement reconverti en gardien de la paix, n'avait jamais eu le profil d'alcoolique anonyme. Soyons clair.

Il fut un temps où chaque regard se serait posé sur lui alors qu'il poussait le battant de la porte d'entrée. Cependant, chaque homme et chaque femme était une célébrité, à force, on s'y habituait. Les types masqués étaient déjà révolus! Ha! Quelle époque bien incertaine les amis...S'il n'était plus à la mode, s'il était déjà has been, V n'avait toutefois pas perdu de son charme naturel, de son élégance démesurée et de son raffinement mondain. Au contraire, il se démarquait toujours. Notre homme vint s'asseoir au comptoir au milieu de ces gens, des célibataires aguerris disait-on. Il commanda un verre de whisky, puis il sortit un carnet moleskine de sous sa cape sombre. Il tenta de se rappeler quelques vers fameux, quelques génialissimes envolées lyriques dont il avait le savoir. Oui il essaya de ramener à lui des réminiscences de ses nombreuses lectures assidues. Ainsi, il écrivit dans un coin d'une feuille blanche:
« L'artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon qu'il voit et qu'il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. » « Toute littérature dérive du péché. »

Notre bonhomme se frotta les mains. Il prenait un plaisir fou à se remémorer des citations d'un de ses maîtres; le poète maudit, Baudelaire. Un instant, le masque souriant se détourna de ses friandises et fit un tour de salle. Son regard brûlant photographia des visages ou des infimes détails comme le reflet des verres ou la couleur du plafond. Là-dessus, il replongea dans son monde qui pouvait à tout moment être dérangé, secoué, détruit, anéanti. Il suffisait d'un rien.

Un bar comme tant d'autres où flottaient des vapeurs d'alcool mêlées à la fumée de cigarettes. On ne peut pas vraiment dire que Sylar appréciait cet endroit mais il se l'était promis: à nouvelle vie, nouvelles fréquentations. Quoi de mieux dès lors de se rendre dans les endroits peuplés pour débuter sa nouvelle vie. Notre homme était assis au bar. Devant lui, un verre de liquide ambré, à première vue, cela ressemblait à du whisky. C'était déjà son seizième verre. D'aucuns n'auraient sans doute pas survécu à ce régime mais notre homme n'était pas comme "les autres"...

Le regard las, posé sur le bois lustré du comptoir, Gabriel Gray jouait à se faire peur en balançant son corps sur le tabouret de bar. Il s'ennuyait, c'était un fait. Gabriel avait vécu ces dernières années à essayer de sauver puis de détruire puis d'aider le monde. Cela, personne ne semblait le savoir ici. Qu'importe, il ne voulait plus de ce passé. De cette vie dissolue à changer de motel et de véhicule volé sans arrêt. Il voulait avoir une vie "bien rangée", comme la plupart des américains moyens. Mais l'était il? Moyen? Non certainement pas, mais il pouvait se donner l'illusion de l'être.

Gabriel Gray leva légèrement le visage vers l'inconnu qui venait de prendre place à sa gauche. Cet énergumène portait un masque. Sylar tenta de se rappeler si Halloween était proche ou lointain. Il ne put arriver à une conclusion valable si bien qu'il décida discrètement de mener l'enquête en observant l'individu masqué. Celui-ci portait un masque assez étrange, un masque souriant qui semblait ne pas être de la première fraicheur. Etait il un "héro" que l'histoire avait oublié? Sans doute, comme la plupart des personnes présentes en ce lieu sordide. L'individu sortit un carnet sur lequel il entreprit d'écrire. Ecrivait on encore à l'heure des ordinateurs, des réseaux sociaux, des téléphones portables et d'Internet? Non bien sur, du moins, pas à l'aide d'un stylo. Sylar put remarquer que le serveur s'appretait à poser un verre de whisky devant l'étrange type. Sylar saisit la balle au bond.

-"Hé mec, la même chose!"

Le barman semblait mal à l'aise. Il savait pertinement bien qu'il lui était interdit de servir de l'alcool à une personne ivre, c'était dangereux. Mais ce type là était "différent", en fait ils l'étaient tous. Comment savoir dès lors s'il fallait se fier au règlement et lui intimer de sortir ou plutôt, lui servir un autre verre. Le jeune barman opta pour la facilité, il ne voulait pas se frotter à ce type. Qui sait, peut-être que son voisin de gauche allait s'énerver. Et, c'est bien connu, un homme masqué n'est jamais bon à avoir comme ennemi. Il servit donc un énième verre à Gabriel Gray et fila à l'oppose du bar, juste au cas où...

Spoiler:

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Être un homme masqué pouvait comporter quelques soucis de vie pratique, cependant, rien ne pouvait entraver, ni restreindre un tant soit peu les mouvements de V. Deux fentes en demi-lune fournissaient un regard hybride et peu humain finalement, bien que l’expression entière de son visage contribuait à faire ressortir un personnage de vaudeville. Son sourire figé, lumineux par tous les vents et tous les matins d’hiver, un sourire enchanté, allègre, fixé ainsi dans les airs, favorisait les relations sociales. De plus, notre ami avait le goût prononcé du contact humain depuis qu’il était sorti de la tombe. Ce monsieur mystérieux et engageant captivait son entourage et du moment qu’il trouvait de l’intérêt à ses interlocuteurs, il se montrait d’excellente compagnie. Par conséquent, il reporta tranquillement son attention sur son voisin de comptoir qui semblait légèrement ivre malgré sa posture encore tout à fait convenable. Toutefois, son haleine trahissait son état et lorsqu’il recommanda une boisson, V prit la peine de s’adresser à lui, curieux de rencontrer un homme capable d’enchaîner autant de verres de whisky.

« Cela est une habitude récurrente chez vous ? J’ai l’impression que vous avez fait peur à notre pauvre serveur. Je me présente, V, pour vous servir, du moins, pour un temps peut-être jugé trop court. »

Il eut un rire fin et espiègle. Puis il observa l’inconnu. Il paraissait comme un individu peu fréquentable à première vue, pourtant, une intuition lui disait qu’il n’était pas aussi dangereux que sa tenue pouvait le prétendre. Peut-être que la rédemption avait réalisé des miracles ? V, dont la curiosité insatiable était mise à l’épreuve, essaya d’en apprendre davantage.

« Est-ce par goût que vous buvez ou par dépit ? Non, ne voyez surtout pas là un jugement de ma part, c’est plutôt une preuve que je m’intéresse à vous. En tout cas, très bon choix de boisson. Si je devais me souler, je prendrais sans hésiter cet alcool. Mais mon intention n’est pas d’atteindre un état d’ébriété totale, je préfère rester sobre tout en prenant du plaisir. »

Notre protagoniste possédait une voix suave qui conquérait universellement les cœurs et les âmes des Hommes. Son don d’orateur n’avait pas de limite et il tenta une approche en douceur. Il ne fallait pas énerver un homme émoustillé…Notre fripon n’était pas là pour combattre l’humanité, mais pour se confronter aux délires du quotidien. Il voulait répandre ses idées et croiser le fer avec des adversaires de taille par la pensée afin de refaire le monde. Peut-être était-il tombé sur une belle exception pleine de prouesses et pleine d’un appétit démoniaque pour le monde intelligible ! Au fond, V l’espérait. En effet, cela le ravirait.

Sylar avait déjà enroulé ses doigts autour du verre qu'on venait de lui servir. Un léger sourire se dessina sur les lèvres du Hero lorsqu'il vit le barman prendre la poudre d'escampette. Décidément, il ne serait pas facile de se construire une nouvelle vie. Pour Gabriel Gray, les contacts humains étaient devenus depuis plusieurs années assez difficiles. Cet état de fait était-il dû à la dangerosité latente du tueur? Ou tout simplement au regard ténébreux qu'il arborait fièrement? Sylar n'en savait rien. Après tout, il y avait peu de chance pour qu'ici, on le reconnaisse. Il partait donc avec un avantage, il ne restait plus qu'à changer d'air...Plus facile à dire qu'à faire. Mais l'homme s'était juré d'au moins essayer. Aussi, lorsque l'étrange bonhomme masqué rompit le silence, Gabriel Gray se força d'afficher un sourire avenant. Son visage ainsi déformé était ridicule. Nul doute que cet air faussement amical ait berné qui que ce soit, mais c'était toujours mieux que de porter un vrai masque...

-"Ce barman est un froussard...Rien de plus."

Les yeux noisette du tueur se relevèrent un instant pour scruter le bout du comptoir. Le jeune serveur y était toujours et semblait nerveux. Sylar reposa ses yeux sur le visage inhumain.

-"V"? hein? C'est un prénom ça? Mouais ben je suis Sy...Heu Gabriel Gray."

Pour l'instant, il était plus prudent de ne pas dévoiler son pseudonyme. Sylar souhaitait sincèrement en finir avec son ancienne vie. C'est donc son nom de baptême qu'il cita à l'étranger. La fin de la phrase qu'il venait d'entendre l'intriguait: comment, au vingt et unième siècle pouvait-on encore parler de la sorte? "Pour vous servir". Dans les oreilles du Hero, ce discours sonnait faux. Mais il décida d'accorder le bénéfice du doute à l'étrange énergumène qui venait de parler à nouveau.

-"Je bois pour passer le temps. A vrai dire, je m'ennuyais. Vous voyez, je suis nouveau dans le quartier, je viens à peine d'emménager au 109. Alors je me suis dis que venir boire un godet avec mes futurs voisins serait agréable. D'ailleurs, je suis... surpris de vous avoir rencontré..."

L'expression exacte était "heureux" de vous rencontrer, mais sur ce coup là, Sylar décida de jouer la franchise. Ce type était bizarre, il ne pouvait le nier. Dès lors, l'ancien prédateur décida de glaner quelques informations pour apprendre à mieux le connaître et surtout, pour satisfaire sa curiosité. Désignant d'un geste de tête le visage de son interlocuteur, Gabriel Gray prit donc la parole.

-"Excusez ma question sans doute indiscrète mais...Je me demandais...Pourquoi vous promenez vous avec un masque?"

Avait-il un visage repoussant? Etait il un grand brûlé? Ou venait-il simplement d'un bal costumé dont le Hero fraîchement débarqué au 109 rue du 7e art n'avait pas encore entendu parler? Mystère. En attendant la réponse, Sylar entreprit de se donner une mine avenante et décocha de nouveau un sourire surfait et ridicule au dénommé "V". Et puis d'ailleurs, pourquoi une seule lettre pour se désigner? Ce type était vraiment étrange. Mais Gabriel Gray était bien décidé à devenir un "homme du monde" et de ce fait, convaincu de devoir tenter d'apprivoiser l'étrange personnage

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